Au Sénégal, un reporter-GPS dans les embouteillages de Dakar
Au Sénégal, un reporter-GPS dans les embouteillages de Dakar
Par Amadou Ndiaye (contributeur Le Monde Afrique, Dakar)
L’Afrique en villes (22). Au volant de sa moto jaune, Abba Diatta, journaliste à Zik FM, informe en temps réel sur l’état du trafic dans la capitale.
Dakar, quartier Ouakam, il est 16 heures. La circulation commence à s’intensifier à cette heure de sortie des bureaux où les gens sont pressés de rentrer chez eux. Au milieu du croisement, deux taxis sont entrés en collision, rendant le trafic presque impossible. Du côté droit de la chaussée, un homme confortablement assis sur son scooter, le portable collé à l’oreille, donne des informations sur le trafic.
« Bienvenue sur ce point de l’actualité du trafic. Pour les automobilistes en provenance du centre-ville, le croisement Ouakam est à éviter, la circulation est bloquée à ce niveau par un choc entre taxis. Il serait préférable de passer du côté de Mermoz pour contourner les embouteillages. » Abba Diatta, reporter à la radio dakaroise Zik FM, est l’un des animateurs de « Trafic News », une rubrique de deux minutes qui informe chaque demi-heure sur la circulation.
Casque bien vissé, lunettes de soleil, veste et gants noirs, chaussures de sport rouge et blanc. Plus qu’un reporter, Abba Diatta est un GPS qui sillonne Dakar et sa banlieue pour traquer les bouchons. Sur son scooter, il se faufile avec aisance entre les longues files de véhicules. « Je fais ce travail depuis huit ans, dit-il. Il faut absolument un deux-roues pour passer rapidement d’un endroit à un autre et informer le public en temps réel. »
Klaxons et engueulades
Avec l’expérience, Abba Diatta sait se trouver au bon endroit au bon moment. Il quitte tôt le matin sa banlieue de Diamaguène pour suivre le mouvement des véhicules qui se densifie à l’entrée de Dakar, sur la corniche. Puis le flux s’inverse l’après-midi, rendant difficile le trafic sur les grands axes de la capitale sénégalaise. Au milieu d’un vacarme fait de klaxons de véhicules, d’engueulades entres conducteurs coincés dans la circulation et de vagues encombrantes de marchands ambulants, le journaliste reste toujours concentré sur son prochain direct.
Dakar côté bitume
Pour les chauffeurs de taxi et autres usagers de la route, Abba Diatta est un sauveur. Soucieux d’échapper aux infernales files de véhicules, ils accordent une attention particulière à « Trafic news ». « Pour un chauffeur de transport en commun, rien n’est pire que d’être coincé dans les embouteillages, on perd du temps et du carburant. Voilà pourquoi nous écoutons toujours Abba Diatta et ses coéquipiers. Cela fait désormais partie de notre travail », témoigne Serigne Sam Seck, chauffeur de taxi.
Au fil des ans, le reporter s’est forgé une réputation. Très souvent, Abba Diatta collabore avec la police et aide à des interventions rapides. « Des policiers m’appellent presque chaque jour pour avoir une idée sur les points chauds de la circulation qui nécessitent l’affectation d’agents. » Pour les sapeurs-pompiers aussi, l’animateur de « Trafic News » est un relais de taille, en cas d’accident de la circulation, pour aider les automobilistes à emprunter d’autres circuits.
Echauffourées et drague
Cette collaboration a néanmoins son revers. Bien souvent, le reporter-GPS s’est retrouvé dans des situations inconfortables. Ce fut le cas un soir de juillet 2011, lors de manifestations contre un troisième mandat de l’ex-président Abdoulaye Wade. Abba Diatta roule à vive allure lorsque soudain, une bande de jeunes se dresse devant lui. « Je me suis garé et ils sont venus vers moi, très en colère. L’un d’entre eux m’a traité d’agent qui informe la police sur les émeutes. Je me suis défendu et, dans les échauffourées, certains qui comprenaient bien mon job m’ont aidé à échapper à la furie de ces gens qui ont pris mon téléphone portable. »
Abba Diatta est une vraie star dont le nom est hélé par-ci et crié par-là en pleine rue. Mais l’homme de 37 ans n’a pas le temps de s’arrêter : « Si je devais m’arrêter à chaque fois qu’on m’appelle, je ne ferais pas mon travail. » Parfois, les interpellations prennent des airs de drague et c’est tout sourire que le reporter raconte : « Souvent, des femmes au volant arrêtent ma course pour prendre mes coordonnées. Estimant que c’est dans le cadre du travail, je donne mon numéro sans problème, puis elles m’appellent pour me faire part de sentiments intimes… Je reçois tellement d’appels qui n’ont rien à voir avec mon job qu’il m’arrive souvent de changer de numéro. »
Pour échapper à cette pression, Abba Diatta, qui a déjà deux femmes, a enlevé les autocollants portant le logo de la radio sur sa moto jaune. « Comme ça je peux faire mon travail convenablement », dit-il avant de prendre congé. Il est 19 heures, la journée est terminée. Rendez-vous est donné aux auditeurs le lendemain à 7 heures pour de nouvelles informations sur le trafic routier dans la capitale sénégalaise.
Le sommaire de notre série « L’Afrique en villes »
Cet été, Le Monde Afrique propose une série de reportages dans seize villes, de Kinshasa jusqu’à Tanger.