Derrière l’« alt-right », cinq grandes mouvances qui convergent
Derrière l’« alt-right », cinq grandes mouvances qui convergent
Par William Audureau
Le mouvement pro-Trump est notamment né de la réunion de conspirationnistes, de trolls et de masculinistes, estime un chercheur après une analyse lexicale de messages postés sur le forum Reddit.
Capture d’écran de « Pepe Trump MAGA Dance », une vidéo pro-Trump de septembre 2016. / Capture d'écran
L’« alt-right » est plus qu’une étiquette rajeunie pour l’extrême droite anglophone : c’est un agrégat de cinq grandes mouvances distinctes. Telle est la conclusion partagée par Tim Squirrel, doctorant en science et technologie à l’université d’Edinbourgh (Ecosse) et membre du laboratoire de recherche Alt-Right Open Intelligence Initiative, dans un billet publié le 18 août sur le site américain Quartz. Pour y parvenir, le chercheur a conduit une vaste analyse lexicale sur The_Donald, principale sous-section « alt-right » du forum Reddit avec ses 450 000 abonnés.
Depuis l’explosion médiatique du terme « alt-right » à l’automne 2016, de nombreux éditorialistes ont appelé à bannir son usage, qui servirait à masquer l’idéologie néonazie. Ces appels avaient redoublé suite aux manifestations suprémacistes de Charlottesville (Virginie). Mais, oppose le chercheur, « l’“alt-right” n’est pas un groupe uni. Ils n’ont pas d’identité cohérente ».
En utilisant BigQuerry, un programme de Google d’analyse de données pour étudier le champ lexical des messages postés, ainsi qu’un petit outil supplémentaire pour observer les recoupements entre différents subreddits (les sous-sections de Reddit, classées par centre d’intérêts), il estime être parvenu à établir une « taxinomie des trolls ».
Shitposters, gamers, MRA, conspirationnistes…
L’« alt-right » telle qu’elle s’exprime sur The_Donald s’avère ainsi constituée de cinq grandes catégories de participants bien distincts :
- les « shitposters » de 4chan, ou purs trolls. Ils sont dans la provocation sans limite et utilisent de manière intensive les termes « kek » (sorte de dieu du politiquement incorrect) et « Pepe » (leur grenouille symbole) ;
- les anti-progressive gamers ou joueurs anti-gauche. Dans le sillon du GamerGate, mouvement antiféministe né en 2014 qui constitue l’un des leurs mots-clés, ils luttent depuis 2014 contre la diffusion des idées féministes, de défense des droits LGBT et du mouvement Black Live Matters dans les jeux vidéo, et dénigrent ceux qu’ils appellent avec mépris les « SJW » (combattants de la justice sociale) ;
- les men rights activists ou militants masculinistes. Ils s’opposent aux féministes autant qu’ils cherchent à revaloriser une certaine vision de la virilité, à travers toute une échelle de valeurs des hommes en fonction de leurs performances comme séducteurs (ils appellent « alpha » les hommes et séducteurs jugés dominants, « omega » les moins musclés, etc.) ;
- les anti-globalization. Sur des schémas souvent simplistes, conspirationnistes et antisémites, recherchent des « élites » à combattre (comme « George Soros », « the etablishment », ou la « globalist scum », la « vermine mondialiste ») ;
- les suprémacistes blancs. Ce sont militants actifs de la défense d’une supposée « identité occidentale » chrétienne, notamment face à l’« islam » et la « sharia », deux de leurs thèmes fétiches. Ils idéalisent par ailleurs les Croisades.
« Risque qu’ils entrent en osmose »
Les frontières entre ces catégories sont loin d’être étanches, notamment parce que les factions les plus anciennes et structurées, à savoir les suprémacistes et les masculinistes, profitent de cette proximité relativement récente pour recruter. Un phénomène que Le Monde avait pu observer dès juillet 2015 lors d’une réunion de gamers « antipolitiques » et de néoconservateurs à Paris. Tim Squirrel alerte :
« Des adolescents qui s’ennuient et des joueurs sont en train de se faire endoctriner dans un antiglobalisme radical, des théories du complot et l’islamophobie, et cela se déroule juste devant nos yeux, sur un forum accessible publiquement. »
Le chercheur observe qu’à force de se fréquenter, ces différentes populations se sont créé un vocabulaire en commun, constitué entre autres du mot « centipede », la manière dont ils se définissent entre eux, « MAGA » (acronyme de Make America Great Again, le slogan de Donald Trump), et surtout de nombreux mots-valises formés à partir de « cuck » (insulte désignant les personnes jugées soumises aux minorités et aux femmes).
Le sous-forum The_Donald est autant un lieu de rassemblement que de radicalisation, estime Tim Squarrel. « [Les forums de ce type] servent de lieu de rencontre pour des hommes blancs mécontents venus de toutes parts et qui partagent une haine commune. Ils sont issus de coins différents d’Internet avec des intérêts et des lexiques différents. Ils restent séparés quand ils ne sont pas sur The_Donald, mais plus ils passent de temps ensemble, plus leurs visions pernicieuses du monde risquent d’entrer en osmose. »