En colère, les livreurs de repas se mobilisent de nouveau pour leurs conditions de travail
En colère, les livreurs de repas se mobilisent de nouveau pour leurs conditions de travail
Par Francine Aizicovici
Une mobilisation est prévue dimanche et lundi dans quatre villes avec blocage des livraisons pour certains établissements
A Paris, le 11 août, ils étaient environ 70 à se mobiliser, selon Jerôme Pimot, fondateur également du Collectif des livreurs autonomes parisiens (Clap). / CHARLES PLATIAU / REUTERS
Après un été de mobilisation en ordre dispersé, à partir de la fin de juillet à Bordeaux, puis à Lyon et enfin Paris le 11 août, les collectifs de livreurs à vélo de repas de restaurants pour la plate-forme Deliveroo appellent à un mouvement coordonné les 27 et 28 août. Dans chacune de ces trois cités, ainsi qu’à Nantes, rassemblements et actions auront lieu à 18 heures le 27, et à 15 heures le 28. Ces livreurs, tous autoentrepreneurs, revendiquent une hausse du prix de la course à 7,5 euros, au lieu de 5 euros actuellement (5,75 à Paris) et le retour des minimums garantis de 15 ou 20 euros l’heure.
Les 27 et 28 août marquent la fin des derniers contrats de prestations de service qui étaient payés à l’heure. Les derniers détenteurs devront choisir entre le nouveau contrat ou partir. Désormais, seuls existeront des contrats payés à la course, que Deliveroo a commencé à proposer à partir de septembre 2016 pour les nouvelles recrues. Ce changement annoncé fin juillet est perçu par certains « anciens » comme « une précarisation accrue ». Selon le principal leader du mouvement, Jérôme Pimot, fondateur de l’Union des livreurs à vélo engagés (U’live), il ferait perdre aux anciens « 18 à 30 % » de leurs revenus. Un porte-parole de Deliveroo réplique qu’au contraire un nouvel algorithme va leur permettre d’avoir moins de temps morts – non payés – entre deux courses.
En outre, des avantages – minimum garantis, prime de pluie, etc. – introduits en septembre 2016 afin d’attirer les milliers de coursiers laissés sur le bitume par la faillite de la société belge Take Eat Easy, « ont disparu au fil du temps », déplore M. Pimot. Désormais, précise Deliveroo, « les minimums garantis sont variables en fonction des villes. Ils dépendent de l’ancienneté de l’installation de Deliveroo dans la ville et du niveau de commandes ». La direction de cette société britannique, qui fait travailler 7 500 coursiers en France, indique qu’elle ne connaît pas encore le pourcentage d’anciens passés au nouveau contrat, sauf à Paris, où ils seraient « une majorité ».
Peur des sanctions
Combien seront-ils à bouger les 27 et 28 août ? « Il y a des livreurs qui ne se sentent pas concernés, admet Jérôme Pimot, et surtout, d’autres qui voudraient bouger mais ont peur de se faire virer. » L’article 6 du contrat de prestation prévoit en effet l’engagement du livreur « à ne pas critiquer, dénigrer » Deliveroo, y compris « après la fin du présent contrat, sans limite dans le temps »… « Il faut convaincre les gens de rejoindre les collectifs locaux, ce qui les protégera », précise M. Pimot, grâce à l’article 60 de la loi travail. Le texte prévoit notamment le droit, pour les travailleurs indépendants d’entrer « dans un mouvement de refus concerté de fournir leurs services » sans qu’ils puissent faire l’objet de sanction ni de rupture du contrat, sauf en cas d’abus.
A Paris, le 11 août, ils étaient environ 70, selon Jerôme Pimot, fondateur également du Collectif des livreurs autonomes parisiens (CLAP), qui organisait le rassemblement avec les syndicats CGT et SUD, nouvellement investis dans ce secteur. Ils étaient « une vingtaine », selon Deliveroo.
Ismaël (prénom modifié), la vingtaine, qui a un « nouveau contrat » et aucune autre source de revenu, ira au rassemblement parisien. « Il faut qu’on ait plus de droits, dit-il. Je gagne entre 600 et 2 000 euros brut par mois en chiffre d’affaires, cela dépend si j’ai des courses tout le temps ou pas. Là, il est 18 h 20 et je n’ai pas eu de courses depuis 16 heures » alors qu’il s’est inscrit sur les créneaux correspondants et doit donc rester disponible. Sa crainte, avec le nouvel algorithme, « c’est de ne pas pouvoir obtenir suffisamment de créneaux parce que les inscriptions seront ouvertes avant tout le monde pour les meilleurs livreurs. Or, moi, je suis récent chez Deliveroo. »
Des piquets de grève devant des restaurants
En revanche, David (prénom modifié), la trentaine, dans une ville de province avec le nouveau contrat, n’a pas les craintes d’Ismaël : « Les meilleurs créneaux, c’est pour les livreurs les plus sérieux, comme moi. » Son chiffre d’affaires mensuel moyen net, en prenant en compte les congés non payés et les charges qu’il chiffre à 15 % – il bénéficie d’un taux réduit du RSI –, est, selon ses calculs, d’environ 2 200 euros. Certes, il travaille en moyenne quarante-sept heures par semaine, quarante-deux heures s’il déduit les congés non payés. Mais il estime qu’il « gagne bien [sa] vie pour un boulot non qualifié ».
Les 27 et 28 août, les organisateurs ont prévu de faire « des piquets de grève devant certains restaurants, pour empêcher les plats de sortir et les livreurs de rentrer, jusqu’à ce que le patron comprenne qu’il doit éteindre sa tablette qui le relie à Deliveroo, précise M. Pimot. Puis on passe à un autre restaurant. On expliquera notre action aux clients. » Une action similaire avait été menée le 11 août à Paris. Il n’y a pas eu d’incidents, selon M. Pimot. Mais Deliveroo dénonce « des violences et intimidations » sur du personnel au cours de cette période. « Une plainte contre X a été déposée à Paris pour menace de mort, une autre à Bordeaux pour menace et dégradation », indique la société. M. Pimot dit n’être « pas au courant. Je condamne, comme tous les collectifs, toute violence physique ou menace ».
Pour tenter de calmer le jeu, Deliveroo, rappelant que depuis mars 2016, il prend déjà en charge l’assurance responsabilité civile des livreurs, annonce qu’il « réfléchit à un moyen pour aller plus loin ».