Sébastien Ajavon lors de l’élection présidentielle du 6 mars 2016, à Cotonou, au Bénin. / PIUS UTOMI EKPEI / AFP

Sébastien Ajavon ne veut pas réagir. Il préfère laisser aux cadres des trois entreprises de son groupe qui font l’objet d’un redressement fiscal (Comon SA, SCI l’Elite et JLR SA) le soin de relever « toutes les fantaisies intégrées par l’administration du fisc » pour en venir à cette somme mirobolante de 167 milliards de francs CFA (255 millions d’euros) d’impôts impayés notifiée par le fisc mi-août. « Nos équipes sont en train d’y travailler. Les résultats sont attendus pour mardi [29 août] au plus tard. Si nous n’arrivons pas à trouver une entente avec le fisc, nous irons au contentieux », affirme un collaborateur de l’homme d’affaires béninois.

En mai, les services de l’administration fiscale étaient descendus dans les locaux des différentes entreprises de l’homme d’affaires surnommé « le roi du poulet » et auraient relevé de graves irrégularités et des faits d’« évasion fiscale » et de « maquillages de comptes ». Le contrôle porte sur les années 2014, 2015 et 2016.

Trafic de drogue

L’entourage de l’homme d’affaires, qui n’a pas caché ses intentions de se porter candidat à l’élection présidentielle de 2021 après être arrivé troisième à celle de 2016, crie à l’acharnement politique. « Tout porte à croire qu’il y a une volonté délibérée du pouvoir de détruire l’homme. Sébastien Ajavon paie chaque année de 30 à 35 milliards de francs CFA d’impôts. Pourtant ils ont essayé de nuire à ses affaires en l’accusant de trafic de drogue. Aujourd’hui, le pouvoir utilise l’arme du fisc pour l’anéantir », réagit une source proche du numéro un de la volaille au Bénin.

« Il n’y a aucun acharnement, une bonne centaine d’entreprises sont concernées par cette opération du fisc, rétorque Wilfried Léandre Houngbédji, directeur de la communication de la présidence. Nous sommes dans un régime déclaratif où chacun déclare ses impôts, et il est bien normal que le fisc fasse le contrôle pour voir si ce que les entreprises ont déclaré est conforme à la réalité. Ce n’est pas parce que M. Ajavon a décidé d’entrer en politique qu’il faut trouver de l’acharnement à la moindre action, même la plus objective. Et il y a des voies de recours. Quant à l’importance de la somme, cela dépend du volume d’activités. Les entreprises de Sébastien Ajavon font un chiffre d’affaires d’au moins 200 milliards de francs CFA par an. »

Ce redressement fiscal pourrait bien être un coup de grâce pour l’homme d’affaires qui a fait fortune grâce à l’exportation de produits congelés en direction du Nigeria. En juin, il confiait au Monde Afrique avoir été beaucoup affecté par les accusations de trafic de drogue. « Actuellement, je ne fais que 40 % de mon chiffre d’affaires habituel. C’est fini. Mon image a été touchée. En Europe, les banques m’ont tourné le dos, des contrats ont été annulés », affirmait-il.

Plainte contre X

En octobre 2016, 18 kg de cocaïne avaient été retrouvés dans l’un de ses conteneurs en provenance du Brésil, au milieu de 2 600 cartons de gésiers de dinde. Après plusieurs semaines de bataille judiciaire et de détention, l’homme d’affaires s’en était finalement tiré avec un acquittement au bénéfice du doute. Et avait résolument pris ses distances vis-à-vis du pouvoir et du président Patrice Talon, « le roi du coton », qu’il avait pourtant soutenu au second tour de l’élection de mars 2016.

Sébastien Ajavon évalue les pertes occasionnées par cette affaire à près de 250 milliards de francs CFA. Ce qui l’a poussé à se retirer de la présidence de son groupe, Comon-Cajaf, en janvier, et à traduire l’Etat béninois devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). « Je n’avais pas le choix », dit-il. Il a aussi porté plainte contre X devant la justice béninoise pour savoir qui a glissé le sac plein de cocaïne dans son conteneur.

« Un redressement fiscal n’est pas une sommation à payer ce qui est relevé, modère un juriste. L’administration fiscale estime que l’opérateur lui doit une somme à payer sur une période donnée, en l’occurrence entre 2014 et 2016. L’entreprise peut ne rien payer si elle apporte des preuves. » En 2012, sous le régime de Boni Yayi, le groupe Comon-Cajaf avait déjà fait l’objet d’un redressement fiscal de l’ordre de 35 milliards de francs CFA. Mais après moult tractations et une passe d’armes médiatique, une entente avait été trouvée avec le gouvernement, et l’homme d’affaires n’avait finalement rien payé.