Des personnes évacuées dans un abri ouvert à Houston, mardi 29 août. / NICK OXFORD / REUTERS

Shanon Alexander prend quelques secondes de réflexion, puis finit par lâcher : « En fait, je pense que j’ai tout perdu : ma voiture, ma maison, tout ce qu’il y avait dedans. » Le visage fatigué sous une casquette noire retenant des cheveux mi-longs, l’homme de 43 ans s’apprête à passer sa troisième nuit dans un refuge. Mardi 29 août, dans la soirée, c’est dans le centre des congrès de Conroe (Texas), l’un des quatre abris ouverts dans la ville située à une soixantaine de kilomètres au nord de Houston, que ce graphiste, sa mère, sa sœur et ses neveux ont échoué.

Dans une grande salle sont alignés lits de camp et matelas gonflables à une ou deux places, recouverts de couvertures aux couleurs vives. Des sacs en plastique et des sacs de voyage disposés autour des lits constituent les seuls bagages des évacués. En début de soirée, certains sont déjà couchés, la tête sous les draps pour tenter de s’isoler. D’autres discutent avec leurs voisins, partageant le même désarroi. A côté d’une vieille femme au regard perdu, emmitouflée dans une couverture rouge, un déambulateur semble monter la garde. Les enfants, pris en charge par des enseignants volontaires, alternent jeux de société, coloriages et lecture jusqu’à l’heure du coucher. Ce soir, ils auront peut-être droit à une douche. Trois camions équipés sont en cours d’installation sur le parking du centre.

« Faites demi-tour »

Pour Shanon et sa famille, Conroe n’est pas le premier refuge. Ils ont déjà été chassés à trois reprises par les dégâts causés par la tempête Harvey. « On a dû évacuer notre premier refuge car il n’avait plus d’électricité. Le second a été fermé car il était menacé par la montée des eaux. Avant cela, on avait dû abandonner notre maison de deux étages quand on a réalisé que l’eau montait de plus d’un mètre par heure. On a appelé les secours et un bateau est venu nous chercher. Ils ont aussi sauvé nos voisins dont l’embarcation venait de se retourner et qui étaient en perdition. » Sa maison est à une trentaine de kilomètres de là, mais les routes inondées l’empêchent encore d’aller évaluer les dégâts.

Comme Shanon, beaucoup des évacués qui ont trouvé refuge dans les écoles, les églises ou les gymnases ouverts dans toute la région sont toujours hébétés par ce qu’ils ont vu et vécu. « Je vis ici depuis 1975 », témoigne Cherry, arrivée la veille au centre des congrès après avoir passé trois nuits dans une voiture avec son fils. « J’ai vu beaucoup de tempêtes, beaucoup d’arbres tomber, beaucoup de coupures d’électricité, mais jamais une catastrophe pareille », jure la femme de 64 ans, dont les sourires las laissent entrevoir une bouche édentée.

Comme Cherry, Wendy Taylor, qui fume à côté d’elle, à l’entrée du centre, porte des habits récupérés dans les monceaux de vêtements apportés par les bénévoles. « J’ai mouillé tout ce que je portais quand le bateau est venu nous chercher », raconte Wendy, 36 ans, évacuée d’un parc de mobile homes et de caravanes dans la ville de Magnolia, à quelques kilomètres de là. « En fait, à quelques heures près, on aurait pu rester, car l’eau a commencé à se retirer, mais c’était tellement impressionnant… » Son ami, Steve Danielson, s’empresse de sortir son téléphone pour montrer les photos de la crue. « En dix-huit heures, tout était inondé, c’était effrayant car on ne savait pas quand ça allait s’arrêter. » « Maintenant, on est coincés là en attendant que les routes rouvrent », peste Wendy, qui ignore tout de l’état de son habitation. Le long des axes routiers, de grands panneaux préviennent : « Si la route est inondée, faites demi-tour ; ne vous noyez pas. »

Les pluies qui s’annoncent dans les prochaines quarante-huit heures pourraient bien contraindre les réfugiés à passer encore plusieurs nuits dans les abris. Les autorités ont ouvert de nouveaux lieux d’accueil à Houston et dans les villes avoisinantes et s’attendent à des arrivées dans la journée de demain. Même Dallas, à quatre heures de route du cœur de la tempête, a ouvert mardi un centre pouvant accueillir plusieurs milliers de personnes.

Environ 20 000 habitants seraient déjà installés dans les refuges, alors que les secours sont intervenus pour évacuer plusieurs milliers de sinistrés. Des particuliers ont mis leurs embarcations à disposition pour venir en aide aux équipes d’intervention débordées. Sur l’autoroute qui descend vers Houston, des véhicules tirant des bateaux ou des scooters de mer rejoignent les zones inondées. Un élan de solidarité semble avoir déferlé sur le sud du Texas. « On reçoit des appels de personnes qui proposent leur aide, mais pour l’instant on est assez nombreux et l’entrepôt qu’un particulier a mis à notre disposition se remplit à toute vitesse de nourriture, de couvertures, de vêtements, de produits de première nécessité, de produits et de matériel pour bébés », témoigne Brendan Johnson, le jeune pasteur en short qui coordonne les secours au centre des congrès de Conroe.

Digue ébréchée

La situation à Houston a amené les autorités à déclarer un couvre-feu, mardi soir, afin d’éviter les pillages des milliers de maisons abandonnées. « Nous avons eu affaire à des voleurs armés qui faisaient le tour hier pour dévaliser notre communauté », a expliqué le chef de la police, Art Acevedo. Les écoles, bâtiments publics, lignes ferroviaires et aéroports demeurent fermés à Houston, la quatrième ville du pays. Quelque 250 000 habitants sont privés d’électricité.

Par ailleurs, les résidents du comté de Harris, qui vivent dans un rayon de 2,4 kilomètres autour d’une usine chimique du groupe français Arkema, ont été évacués par précaution, en raison des risques d’incendie ou d’explosion, ont annoncé mardi les autorités locales et les responsables d’Arkema. Toujours dans ce même comté, les autorités ont déclaré que les réservoirs de la région commençaient à déborder et prévenu que de nouveaux lâchers d’eau seraient nécessaires pour soulager la pression sur deux barrages. Cette opération devrait aggraver les inondations dans les zones proches de Buffalo Bayou, une rivière qui traverse le centre de Houston, encore épargné par les crues.

Dans une autre partie de la région, les autorités du comté de Brazoria ont annoncé que des brèches avaient été observées sur une digue de la région de Columbia Lakes. Elles ont appelé tous les habitants à évacuer immédiatement la zone. Le nombre des victimes de la tempête Harvey s’élève pour l’heure à 17, selon un décompte officiel. Un bilan qui pourrait s’alourdir dans les prochains jours.