En Algérie, la souffrance et l’impuissance des familles de migrants kidnappés en Libye
En Algérie, la souffrance et l’impuissance des familles de migrants kidnappés en Libye
Par Zahra Chenaoui (Alger, correspondance)
Prisonniers d’hommes armés à Sabratha, sur la côte libyenne, Camerounais, Maliens, Ivoiriens sont forcés de rançonner leurs proches. Sans garantie d’être libérés.
Il est assis, seul dans la pièce, face à un mur bleu. Les coudes sur la table, téléphone dans une main, cigarette dans l’autre. Martin* est camerounais. Il vit à Oran, en Algérie, depuis sept ans. Il a vu les migrants, comme lui, s’installer en Algérie, plus nombreux depuis 2011. Mais, depuis deux ans, il a aussi vu ceux qu’ils connaissaient partir vers la Libye pour rejoindre l’Europe par la mer. « Tous les jours des gens partent », précise-t-il. Un jour d’été, sa nièce, Solange*, décide à son tour de prendre la route. Comme pour tous les autres avant elle, pour Solange, ce devait être « simple ». Le prix de la traversée avait baissé, des proches qui étaient partis l’année précédente, avec le même passeur, l’attendaient dans plusieurs pays d’Europe. Pourtant, Solange n’est pas arrivée.
Plus de 1 200 euros par personne
« On a reçu un coup de fil d’un homme qu’on ne connaissait pas. Il a dit qu’il détenait Solange, avec les autres membres du groupe. Il nous a demandé de l’argent pour la libérer », raconte Martin. Arrivé à Sabratha, le convoi de migrants dont faisaient partie Solange et quatre de ses amis installés eux aussi à Oran, a été arrêté par un groupe d’hommes armés. Les migrants ont été enfermés et les ravisseurs ont contacté toutes les familles pour réclamer des rançons. « Ils nous ont demandé 200 euros, puis 300, puis 500 », explique Martin en secouant la tête. Aujourd’hui, les ravisseurs demandent plus de 1 200 euros par personne. Une somme trop importante pour la famille de Solange.
Solange n’a pas 30 ans. Installée en Algérie, elle est très coquette, aime faire la fête et, dans sa communauté, on la connaissait surtout pour son caractère bien trempé. Elle a vu partir son père, sa tante, ses neveux, ses amies pour l’Europe, mais elle préférait rester en Algérie pour « s’amuser encore ». Contacté par téléphone, son père est inquiet : « On n’a pas de nouvelles, on ne sait pas si elle est vraiment là-bas. » Et, après un bref silence : « On sait ce qu’ils font aux femmes en Libye. » Il y a deux ans, lui avait pris la même route.
Pour lui, le voyage était « bien organisé » et sans gros problème, « même si on était gardés par des hommes armés dans la maison du passeur ». Il dort mal, mange peu et s’est fâché avec la jeune femme qui a aidé sa fille à contacter le passeur : « Je lui ai dit que s’il arrivait quelque chose à Solange elle serait responsable et le paierait très cher. »
« Je me suis fait arnaquer »
Dans la pièce sombre, le téléphone de Martin sonne à nouveau. Noé*, tee-shirt blanc et jean, entre et s’assoit à côté de lui. « Alors ? » Silence. La fiancée de Noé, Josiane*, est prisonnière elle aussi. « Elle a fait le voyage avec sa sœur, qui est enceinte de jumeaux », raconte Noé. Lorsqu’il a reçu l’appel qui exigeait de lui une rançon, Noé a demandé de l’aide à ses amis, a réuni 600 euros et a déposé la somme sur un compte bancaire au Niger. « Je me suis fait arnaquer », soupire-t-il. Non seulement Josiane n’a pas été libérée, mais l’interlocuteur, « un Nigérian qui travaille avec les passeurs en Libye » selon Noé, a augmenté le montant de la rançon. « Je ne peux plus rien faire. J’ai appelé sa cousine, installée en Europe, mais elle ne me croit pas. Moi, je n’ai plus d’argent », se désole Noé.
Dans le quartier où vivent des centaines de migrants subsahariens, on connaît bien le problème. Adam*, Ivoirien, en a fait l’expérience. Contacté par téléphone, il explique : « Les hommes armés, on les appelle les Asma Boys. Ce sont des bandits. Moi, j’ai été arrêté alors que j’étais déjà sur le bateau. Ils nous ont emmenés dans une maison en construction. Ils nous ont bastonnés pour qu’on donne les numéros de téléphone de nos familles. Ceux qui ne payaient pas, on leur tirait dessus pour les blesser. En Libye, aujourd’hui, ils essaient tous de gagner de l’argent avec les migrants. »
Pour la famille de Josiane, les nouvelles ne sont pas bonnes. Son mari, malien, n’a réussi à réunir que la moitié de la somme. Un jeune Camerounais, détenu puis libéré après le versement par sa famille de la rançon sur un compte bancaire malien, a donné des nouvelles : « Josiane ne tient pas bien le choc, elle a beaucoup maigri. » Assis autour de la table, Noé et Martin sont résignés : « Il ne nous reste plus qu’à prier. »
*Les prénoms ont été modifiés pour protéger l’anonymat des personnes interviewées et des personnes emprisonnées en Libye.