Dans l’épisode du vendredi 9 mars de « Plus belle la vie », Clara, 15 ans, fait son coming out trans. / France 3 / Telfrance Série

La gestation a été longue. Cela faisait quelques années que Christine Coutin, directrice éditoriale de « Plus belle la vie », amenait le sujet de la transidentité sur la table des scénaristes de ce feuilleton familial, diffusé sur France 3. Enfin, l’angle a été trouvé : « On a choisi de raconter l’histoire à travers le prisme des parents : qu’est-ce qu’il se passe quand un adolescent a le courage de dire qu’il est prisonnier d’un corps qui n’est pas le sien ?, dit Sébastien Charbit, producteur de la série. On a très peu de recul sur qui vit bien sa transidentité, donc on va tenter de poser les questions qui se posent et de provoquer le débat entre les gens ».

Dans l’épisode 3 490, diffusé vendredi 9 mars, Clara, 15 ans, fera ainsi son coming out trans :

« Je suis pas une fille, je le sais depuis longtemps. Je suis un garçon. (…) J’m’en fous des autres. J’m’en fous de ce qu’ils pensent. Tout ce que je veux, c’est vivre ma vie. Etre qui je veux. Tu crois que c’est facile pour moi ? »

Clara est de sexe féminin, mais ce n’est pas son genre. Après avoir essayé de trouver les bons mots sur des sujets tels que le VIH, les joints, le mariage gay, les plans à trois, la double vie d’un médecin psychopathe (Berger alias l’Enchanteur, pour les connaisseurs), la parentalité adolescente, l’adoption, les familles recomposées, « Plus Belle » s’attaque avec bienveillance à la dysphorie de genre et plus largement, à la transidentité.

« Dédramatiser et éduquer »

L’expression « dysphorie de genre » existe depuis les années 1960, mais le sujet est peu abordé. Pour Sébastien Machefaux, médecin psychiatre spécialisé dans les troubles de l’identité de genre, « c’est une très bonne chose » que la transidentité soit mise à l’écran pour « dédramatiser et éduquer ». Le psychiatre explique :

« Sur une problématique aussi complexe, il faut envoyer un message simple : oui, il y a des êtres humains qui ressentent le fait de ne pas être nés dans le bon corps, cela ne sert à rien de les faire changer d’avis, c’est quelque chose dont ils n’ont même pas forcément conscience. »

L’ignorance fait la stigmatisation. Clara, qui veut faire accepter qu’elle est Antoine, l’apprend à ses dépens, en disant la vérité à ses proches. Sa conviction et son désir d’appartenir à l’autre sexe est un « malaise » pour son père, un « enfer » pour son frère. Ce dernier est brutal :

« Tu t’es dit : je vais me faire greffer une teub et je vais me transformer en mec, c’est ça l’idée ? »

Ce à quoi elle répond :

« Je veux pas me transformer en mec, je suis comme ça, j’y peux rien. »

Son père n’a rien vu venir. Et le téléspectateur non plus. D’où les critiques sur un scénario « trop précipité, qui sort de nulle part » émises sur les forums de fans.

Il est là, le cœur du sujet : que fait un père qui découvre que son enfant s’inflige des punitions et se mutile depuis un an ? Que fait un père qui découvre qu’il n’a pas vu que son enfant souffrait en silence ?

Le père n’accepte pas que « [sa] fille devienne un garçon »

Dans la série, ce père, Clément, ne comprend pas, culpabilise, fait des raccourcis : comment « avec des jolis yeux, des cheveux longs, de la poitrine », sa fille peut-elle se sentir comme un garçon ? Comment peut-elle « décréter du jour au lendemain qu’elle est un mec » ?

Même en se posant, en réfléchissant, il n’accepte pas que « [sa] fille devienne un garçon ». Pour lui, soit c’est une crise d’ado, soit c’est parce qu’il a « la tête dans le guidon à cause du boulot », soit ce sont des gens rencontrés sur Internet qui l’ont influencée.

Le sexe, c’est anatomique, chromosomique. Le genre, c’est un ressenti, une identité

Avec cette histoire, « Plus belle la vie » donne de la visibilité aux personnes transgenres et « vient réinterroger ce que sont le sexe et le genre », ajoute Sébastien Machefaux. Le sexe, c’est anatomique, chromosomique. Et le genre, c’est un ressenti, une identité masculine ou féminine « qui n’est pas forcément corrélée avec l’anatomie », souligne le médecin psychiatre.

Si l’identité de genre est « une construction mentale, psychique, sociétale », il y a bien des types de comportements et des modes de fonctionnement qui sont liés au sexe, mais « la vérité est un peu plus complexe », poursuit-il.

Premier acteur transgenre dans une série grand public

Jonas Ben Ahmed sera, pour sa part, le premier acteur transgenre à jouer dans une série française grand public. Il incarnera Dimitri, qui, comme Clara, n’est pas né dans le bon corps. Celle-ci le rencontre sur le site de l’association Mag jeunes LGBT. Il deviendra son interlocuteur privilégié dans les épisodes à venir.

Invité sur le plateau de « Quotidien », le 7 mars, Jonas Ben Ahmed a salué le scénario de « Plus belle la vie » davantage centré sur la personne que sur la transition : « Cela fait du bien que des gens s’intéressent enfin au sujet » et veuillent « en parler simplement, naturellement, sans fioritures, sans exagérer les traits, sans caricatures », a-t-il déclaré.

« Dimitri ne sera pas le personnage central de la transidentité. Le focus sera mis sur Clara, qui vivra son histoire dans la durée. Qui prendra le temps de découvrir comme les étapes de la transidentité sont longues », précise toutefois Sébastien Charbit, avant d’ajouter ne pas savoir, à ce stade, si la série ira « plus loin », en abordant « le transsexualisme, par exemple. »

« Plus belle la vie » existe depuis quatorze ans. C’est environ 5 millions de téléspectateurs (et peut-être davantage ?) qui suivent la série chaque soir de la semaine, plus de 290 000 followers sur Twitter et des dizaines de forums de fans sur Internet.

La série est souvent au cœur de l’actualité, à l’heure sur le traitement des problématiques sociétales et en avance sur les débats à lancer. Simple, sans tabou, et parfois, avec une touche de militantisme, « Plus belle la vie » semble faire jouer ses personnages comme s’ils anticipaient la réaction qu’auraient les téléspectateurs dans la situation de la fiction.