Plongée dans le Bordeaux du XVIIIe siècle, grâce aux tablettes de réalité augmentée mises à disposition par l’office du tourisme. / Baptiste FENOUIL/REA

Fut un temps où il était ironique de parler des charmes de la France, comme du principal atout qui resterait à ce pays quand son industrie serait réduite comme peau de chagrin. On n’est aujourd’hui pas loin de la réalité. Le tourisme, qui emploie plus de 2 millions de personnes et réalise plus de 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires, représente désormais l’une des toutes premières activités économiques nationales, pesant 7,5 % du produit intérieur brut (PIB). Le secteur est aussi l’un des premiers postes excédentaires de la balance des paiements.

Quand les attentats ont fortement déstabilisé ce marché en 2016, il y avait donc, aussi, péril économique en la demeure. Plus que jamais, il fallait innover pour s’adapter aux nouveaux désirs et craintes des visiteurs français et étrangers. Comment cette activité allait-elle évoluer, compte tenu de la donne géopolitique, du déploiement des technologies numériques, des nouveaux modes de transport, de la montée en puissance des préoccupations écologiques ?

Une fréquentation en hausse

Ces réflexions sont au cœur des Entretiens de Vixouze-Forum international du tourisme du futur, qui auront lieu les 7 et 8 septembre au château de Vixouze (Cantal) et dont Le Monde est partenaire. Ceux-ci ouvriront sur une note optimiste. Economiquement, la fréquentation touristique s’est redressée en France en 2017. « On a retrouvé le niveau d’avant les attentats », affirme Christian Mantei, directeur général d’Atout France et président du comité scientifique des Entretiens de Vixouze. Avec ses 85 millions de touristes internationaux, la France devrait donc atteindre son objectif des 100 millions de visiteurs en 2020. Comme l’analyse Amy Zalman, présidente de la World Future Society, « la violence n’empêchera pas les touristes d’aller où ils veulent ».

Parallèlement, la plupart des experts s’accordent à penser que le numérique ne menace pas le tourisme. Les voyages virtuels ne se substitueront pas aux déplacements physiques. A condition de bien cerner ce que pourra devenir la demande des visiteurs. « Il faut sortir du cercle restreint des professionnels du tourisme et être attentif aux nouveaux univers proposés par les entreprises de transport, les urbanistes, les designers, souligne Christian Mantei. Les gares, les aéroports deviennent presque des destinations en soi, des lieux de vie, dont l’acoustique, les couleurs, les matériaux doivent être adaptés. »

Attention aux nuisances dues à la surfréquentation

Pour ce spécialiste, trois populations devront pouvoir profiter mutuellement de cette économie. Les touristes, certes, mais aussi les habitants et les employés. Ce qui exige une revalorisation des métiers du tourisme. Et une plus grande attention aux questions de surfréquentation dont les nuisances sont de moins en moins acceptées. En raison des dégâts écologiques, mais aussi de la tranquillité des résidents. Certaines régions du globe (comme les Cinque Terre en Italie, ou l’île de Pâques, entre autres) imposent des quotas de touristes.

Le numérique améliorera plus qu’il ne remplacera l’expérience physique du visiteur. Les réseaux sociaux aident les voyageurs en puissance à préparer leur voyage ; et à en rendre compte pour le plus grand plaisir de ces « assoiffés du capital social », comme les nomme Yann Le Fichant, fondateur et directeur général de Vox inzebox, qui a participé à la conférence sur le tourisme organisée par la Banque publique d’investissement, le 11 juin 2015. Mais ils ne remplaceront pas non plus les guides touristiques. « Les réseaux sociaux ne sont qu’un autre canal marketing à intégrer intelligemment dans ceux existants », estime Marios Sotiriadis, professeur à l’université d’Afrique du Sud et intervenant au colloque de Vixouze.

« Les touristes ne recherchent plus la consommation brutale. Ils ne vont plus privilégier la beauté des lieux, mais le caractère émotionnel fort, attaché à leur histoire », estime Patrick Tacussel, sociologue.

En ce qui concerne les dispositifs de réalité virtuelle, Amy Zalman ajoute : « Ils pourront donner la même sensation tactile, humaine, qu’en se déplaçant réellement, mais seront très coûteux. Je ne pense pas que l’on abandonnera sa valise ! La technologie ne supprimera pas notre désir d’aller passer quatre jours à Paris ! » Pour cette spécialiste, « on recourra davantage aux outils de réalité augmentée, formidablement éducatifs et ludiques ».

D’autant que le tourisme historique a de beaux jours devant lui, estime Patrick Tacussel, sociologue, professeur à l’université de Montpellier, qui prononcera l’allocution d’ouverture des Entretiens de Vixouze. « Les touristes ne recherchent plus la consommation brutale, comme ce fut le cas au XXsiècle. Ils ne vont plus privilégier la beauté des lieux, mais le caractère émotionnel fort, attaché à leur histoire. Au Cambodge, ils vont visiter des endroits de massacres khmers. Pour devenir les témoins d’une histoire qui est la leur et qu’ils n’ont pas vécue. Les lieux de malheur, comme les camps de concentration, deviennent touristiques. » Citant le sociologue Rachid Amirou, auteur de L’Imaginaire touristique (CNRS Editions, 2012) : « Les formes touristiques vont emprunter des aspects du pèlerinage, qui était l’occasion de beuveries et de débauches. Il s’agissait pour le pèlerin de rompre avec un ordre usuel des choses, de changer d’identité. »

Une analogie que ne démentiront pas les pèlerins profanes, adeptes de Saint-Jacques-de-Compostelle ou d’ailleurs, et qui sont, de fait, de plus en plus nombreux à cheminer sur les routes et les sentiers, comme pour se désintoxiquer du tumulte politique et technologique ambiant.

Cet article fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec PPP Agency, organisateur des Entretiens de Vixouze (Forum international du tourisme du futur).