Un tiers des emplois occupés par les femmes le sont à temps partiel, notamment pour dégager la journée du mercredi. / LOIC VENANCE / AFP

L’heure est encore aux goûters à rallonge, pris dans le jardinet familial. Sous le parasol bleu, trois petits blonds copie conforme se servent maladroitement un jus d’orange. A côté, leurs parents se détendent dans des transats. Tous sont pourtant « comme des athlètes à quelques heures d’un grand marathon annuel », plaisante le père, Antonin A. (le nom de famille n’apparaît pas à leur demande).

Dans la commune de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), où vit la famille depuis six ans, les deux plus jeunes – 8 et 10 ans – retrouveront dès lundi un rythme de quatre jours d’école par semaine, comme un tiers des collectivités françaises. Après trois années de semaines de quatre jours et demi, « c’est toute une organisation familiale à reprendre », explique Aurélie A., 37 ans. Pour cette cadre dans une grande enseigne de distribution d’articles de sport, « c’est aussi l’heure des choix professionnels ».

Ces dernières années, Aurélie A. avait repris à temps plein son travail dans les ressources humaines. « Le fait qu’ils soient à l’école le mercredi matin me permettait d’avoir l’esprit tranquille », dit cette petite brune affable qui reconnaît que, « comme souvent, c’est une histoire de culpabilité ». « Ça me débloquait de les savoir dans un cadre de travail, comme moi », dit-elle.

« Repasser à 80 % à la rentrée »

Le choix surprise du maire de Bagnolet, pourtant élu socialiste, de revenir aux quatre jours a bouleversé la donne. « J’ai pas dormi pendant une semaine, et puis j’ai craqué : j’ai annoncé à mon employeur mon souhait de repasser à 80 % à la rentrée », explique Aurélie. Pour elle, c’était intenable « de les savoir au centre aéré ou avec une nounou alors que je pourrais être là à m’occuper d’eux ». Une « vraie souffrance » pour cette « féministe convaincue », qui se dit « sans cesse tiraillée entre aspirations personnelles et crainte d’être une mauvaise mère ».

Son mari, qui travaille comme commercial dans l’agroalimentaire, dit ne l’avoir « ni encouragée, ni dissuadée ». « Je voulais que ce soit son choix », reprend-il, avant de reconnaître que lui « ne se voyait pas renoncer à son activité un jour par semaine ». Elle répond « aimer aussi [son] boulot, mais moins que [ses] gosses », même si « l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée épanouies est dur à trouver ».

Les conséquences sont pourtant immédiates : « Je sais que la promotion qu’on m’avait fait miroiter, je peux oublier », lâche-t-elle, amère. La semaine dernière, elle s’est vu retirer un dossier de taille, au motif qu’il nécessitait « un suivi très important ».

Un « impact significatif »

C’est un des corollaires de la demi-journée de classe le mercredi matin : son influence sur les emplois du temps des parents, et notamment des mères. Si le taux d’activité des femmes en France est relativement important, atteignant près de 70 %, un tiers des emplois occupés par les femmes le sont à temps partiel, notamment pour dégager la journée du mercredi.

Avant la réforme des rythmes scolaires, 40 % des femmes dont le plus jeune enfant était en âge d’aller à l’école élémentaire ne travaillaient pas le mercredi, soit deux fois plus que les hommes. Un écart qui montre la persistance d’un système familial dans lequel les femmes doivent, plus que les hommes, adapter leur activité professionnelle à la présence des enfants.

Une étude publiée par l’Institut des politiques publiques, menée par Clémentine Van Effenterre, chercheuse à l’Ecole d’économie de Paris, et Emma Duchini, chercheuse à l’Université de Warwick, montre que la réforme des rythmes scolaires a permis, en moins de deux ans, de réduire de 15 % le différentiel de participation le mercredi entre hommes et femmes. « La réforme des rythmes scolaires a eu un impact significatif sur l’allocation du temps de travail des mères », résume Clémentine Van Effenterre. Les femmes diplômées, cadres ou en professions libérales, sont « celles qui ont le plus augmenté leur temps de travail le mercredi ».

« On observe une meilleure répartition de la charge de travail », note Emma Duchini, qui souligne « qu’une absence d’un jour par semaine peut avoir des conséquences lourdes tant au niveau du salaire que de la progression de carrière ». Si l’école ne peut pas être tenue responsable des inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail, elle s’inscrit cependant « dans les contraintes institutionnelles qui pèsent sur l’activité des femmes », notent ainsi Clémentine Van Effenterre et Emma Duchini. A l’heure où la « charge mentale » est devenue sujet de réflexion, « les mécanismes qui conduisent à cette répartition des rôles, eux, sont souvent peu étudiés », soulignent les chercheuses.

« Grande déception » sur les activités périscolaires

Selon cette étude, la réforme n’a toutefois pas permis aux femmes, au moins à court terme, d’augmenter significativement leur temps de travail hebdomadaire. Un constat que Clémentine Van Effenterre et Emma Duchini imputent notamment, dans leurs hypothèses de travail, à la qualité très disparate des activités périscolaires proposées.

Dans la commune de Yerres (Essonne), Sophie M. a longtemps hésité à passer à une activité à temps plein. Couturière dans un prestigieux atelier de la maison Dior, elle reconnaît que « l’envie de s’impliquer davantage dans son travail lui revient régulièrement ». Mais pour cette mère divorcée de deux enfants à l’école primaire, l’absence de perspective a été un frein majeur.

Dans la municipalité de Nicolas Dupont-Aignant (Debout la République), l’hostilité à la réforme des rythmes scolaires n’a jamais été dissimulée. « Résultat, on s’est retrouvé avec un dispositif installé à contrecœur, sans aucune ambition éducative », déplore Sophie M. Les activités périscolaires, notamment, ont été « une grande déception ». « Une garderie avec quelques activités diverses mises en place par les animateurs : rien de plus », résume cette mère de famille, qui « savait que tout serait annulé à la première occasion ».

Ce sera chose faite dès lundi dans la commune. Et pour Sophie, c’est aussi « tirer une croix sur ses projets professionnels ». Sans grands-parents à proximité pour prendre en charge sa progéniture et avec un ancien mari installé à La Réunion, elle restera à la maison le mercredi. « Je n’ai pas fait des mômes pour les laisser au centre aéré le mercredi », justifie-t-elle, avant de conclure : « L’épanouissement de mes enfants passera toujours avant le mien. »