Les Français de Ferrari : Benoît Poulet, l’ingénieux (3/4)
Les Français de Ferrari : Benoît Poulet, l’ingénieux (3/4)
Par Catherine Pacary
A l’occasion des 70 ans de Ferrari, « Le Monde » publie une mini-série sur les Français de la Scuderia, alors que se court, le 3 septembre, le Grand Prix d’Italie.
Benoît Poulet, mercredi 21 juin, sur le site technologique Shell de Hambourg (Allemangne). / CAP
Pas une goutte d’essence n’est injectée dans le moteur des Ferrari de Sebastian Vettel et Kimi Räikkönen sans l’accord de Benoît Poulet, responsable du développement des carburants Shell F1 pour Ferrari depuis deux ans. Un rôle crucial, exercé dans l’ombre voire le secret, par l’énergéticien français au centre technologique Shell de Hambourg. C’est ici, en Allemagne que le carburant est élaboré, avant d’être scellé dans des fûts « dédicacés » et envoyés sur les circuits. Une essence similaire au basique SP95 E10 de nos pompes, à 1 % près. Ce 1 %, c’est toute la vie (professionnelle) de Benoît Poulet, 34 ans, et cela le passionne. Explications dans l’antre très fermé du « hub énergie » hambourgeois.
Comme en préambule, près de l’entrée, deux moteurs Ferrari figurent l’adaptation aux contraintes, l’un utilisé aux 24 Heures du Mans, voluptueux et endurant, l’autre très compact et racé, de Formule 1.
L’ingénieur français Benoît Poulet en « costume Ferrari », le 21 juin à Hambourg. / CAP
« Ferrari, c’était un rêve depuis l’enfance. » A 10 ans, Benoît Poulet est « Légo à fond », mais lui fabrique des voitures rouges « quatre roues motrices en Légo techniques »…. Quelques « moments-clés » suffisent pour passer du rêve à la réalité. D’abord « de bonnes études », à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, sa ville natale, puis à Polytechnique-Madrid. Ensuite, la mobylette – décisive ! Démontée, remontée, débridée, dans le seul but, déjà, de la rendre plus propre et plus performante. Pour mémoire, une mobylette roule au « mélange » huile-essence, généralement du 4 %. D’où l’interrogation existentielle du jeune Benoît : « Je demandais toujours au garagiste si c’était 4 % d’huile en plus des 100 % d’essence ou 4 % d’huile et 6 % d’essence. Aucun n’a jamais pu me répondre . » Ce qui ne l’a pas empêché de déposer plusieurs brevets de carburants innovants.
Lors d’un stage chez Renault, le jeune diplômé découvre le métier de designer moteur, le rôle des carburants et l’importance de la pression de l’huile dans l’injection moteur. Ce qui en rebuterait plus d’un enthousiasme ce perfectionniste-né. Sa filière trouvée, il se rapproche de la Formule 1. Après des débuts chez Total, Benoît Poulet rejoint Shell en 2015 pour diriger le programme carburants pour Ferrari.
La porte historique de l’usine ferrari à Maranello, en Italie, aujourd’hui entrée du musée. / FERRARI
La première année, Benoît Poulet passe beaucoup de temps à Maranello. Une de ses premières sorties est pour participer aux tests hivernaux de Barcelone. Seul sous la vaste tente-restaurant Ferrari. A l’époque, on s’interroge sur les capacités de la Scuderia à revenir au premier plan après trois saisons dominées par Mercedes. Ferrari ne communique pas, mais ses équipes travaillent pied au plancher . « Nous avons travaillé six mois rien que sur les carburants. Cela aurait pu ne pas marcher. C’est dur d’en parler au passé… », raconte aujourd’hui l’ingénieur français. « On est reparti de la granulométrie type pour trouver la construction type ».
Pour tenter de comprendre, retour à Hambourg. A chaque lieu, sa fonction. En Italie le design moteur, en Allemagne l’élaboration du carburant. Benoît aime présenter son travail comme celui d’un « nez » en parfumerie. Devant lui, 6 ou 8 flacons, dans lesquels les fragrances de jasmin ou d’orchidées sont remplacées par du Butane, des isomères, des Alkaïdes…
« Mon métier, ils en ont fait un jeu pour tablette », explique Benoît Poulet, le 21 juin : doser les composants du carburant afin d’obtenir l’efficience maximale. / CAP
L’efficience, la performance sont les mots qui reviennent sans cesse, non comme une contrainte, plutôt comme un jeu. C’est relever les défis qui motive Benoît Poulet. Quand la Fédération internationale de l’automobile (FIA) a limité à 105 kg l’essence embarquée par voiture et par course, la technologie a répondu par la récupération d’énergie, une découverte qui bénéficie aujourd’hui aux voitures grand public. La compétition joue ici à plein son rôle de laboratoire technologique.
La compagnie pétrolière anglo-néerlandaise investit dans le sport automobile, majoritairement en collaboration avec Ferrari, depuis 1947, année de la sortie de la F1 estampillée cheval cabré. Ensemble, ils fêtent cette année leurs noces de platine, sept décennies fructueuses jalonnées de 12 titres constructeurs.
L’ingénieur français Benoît Poulet, à Hambourg le 21 juin 2017, entouré de l’italienne et de Crystal Goh, directrice des comptes, née à Singapour et résidant à Londres. / CAP
Dans ce milieu scientifique d’élite internationale, les Français ont bonne réputation. Le point fort de Benoît, c’est sa capacité à visualiser directement en 3D la courbe d’efficience carburant-moteur. Pour simplifier, il raisonne comme un algorithme. Il n’en reste pas moins homme, avec ses défauts, comme ses retards lors des vidéoconférences avec les sites Shell de Bangalore, Houston ou Amsterdam. « Cela ne doit pas être facile de travailler avec moi, sourit l’ingénieur, guettant une négation de ses collègues qui ne vient pas. Lorsque j’ai une idée, je veux qu’elle soit développée tout de suite. » Il lui faut tout « ASAP ».
Depuis cette saison, l’ingénieur a trouvé son rythme de croisière, trois semaines à Hambourg, une semaine à Maranello. Il lui a fallu s’adapter au mode de vie allemand, aux consignes de sécurité drastiques du site, comme « tenir la rampe d’escalier », vraiment, parce que, « en Allemagne, 1 000 personnes meurent chaque année d’une cause imputable à une chute dans l’escalier », déclame une vidéo. Il a emménagé avec sa copine dans un nouvel appartement, et assiste désormais aux Grands Prix.
Chaque week-end de course, il part en tandem avec le labo Shell, « une très belle pièce, tout en carbone », pour analyser les lubrifiants lors des essais et compétitions. « C’est comme un test sanguin. » Lorsque la monoplace entre au stand, un échantillon est prélevé. L’huile, en circulant dans tout le moteur, s’est chargée au passage de particules d’usure. Après analyse, Benoît Poulet en déduit qu’une pièce s’use normalement ou non, et décide si elle doit être changée. « J’adore l’ambiance, confie-t-il, la vie en camion, la bouffe super-bonne, la proximité avec les pilotes. » Et cette année, les résultats sont au rendez-vous.
Montréal, le 11 juin, lors du Grand Prix du Canada. Le responsable du développement des carburants Shell F1 pour Ferrari, Benoît Poulet, concentré. / GETTY IMAGES POUR SHELL