Valérie Pécresse, lors du lancement de son mouvement, Libres !, le 10 septembre, à Argenteuil (Val-d’Oise). / BERTRAND GUAY / AFP

Dans une droite réduite au silence depuis les défaites de mai et juin, Valérie Pécresse a l’intention de faire entendre sa voix. Dimanche 10 septembre, sur les hauteurs de la butte d’Orgemont à Argenteuil (Val-d’Oise), la présidente de la région Ile-de-France a lancé son mouvement, Libres !. Devant 2 000 personnes, selon les chiffres de son équipe, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy a exposé sa vision de la droite et insisté sur ses différences avec Laurent Wauquiez, candidat à la présidence du parti Les Républicains (LR). « J’ai la conviction intime que rien ne serait pire que de repartir comme avant, a lancé Mme Pécresse lors d’un discours d’une quarantaine de minutes. Rien ne serait pire que de servir aux Français la saison 3 de à droite toute !, une série dont ils connaissent déjà le scénario, dont ils anticiperont les péripéties, une série vue et revue, avec des mots entendus, des réflexes stéréotypés… »

Avec le lancement de ce mouvement, l’ancienne ministre du budget tente de défricher une troisième voie dans un espace politique situé entre Emmanuel Macron et Laurent Wauquiez, dont les positions droitières inquiètent l’aile modérée de LR. Sans concession pour le président de la République, elle a pointé, dimanche, « le manque d’audace réformatrice », le « manque de fermeté » face au terrorisme islamiste et l’aveuglement de M. Macron au sujet des fractures territoriales. « A ce stade, le bilan d’Emmanuel Macron est bien maigre », a-t-elle déclaré, estimant que la loi travail « va dans la bonne direction mais ne suffira pas, à elle seule, à vaincre le fléau du chômage ».

Ferme sur les questions sécuritaires et migratoires

Mais, avant de s’attaquer à l’exécutif, LR s’interroge sur son propre avenir. Après avoir perdu l’élection présidentielle puis les élections législatives, la droite est en manque d’un leader. Déjà six personnalités se sont déclarées candidates à la présidence du parti dont l’élection aura lieu en décembre. Et si elle n’est pas candidate, Mme Pécresse veut peser sur l’orientation de la refondation. Comme à chacune de ses prises de parole depuis le mois de juin, ses critiques implicites de la « dérive » droitière de M. Wauquiez ont été transparentes. « Ni Macron ni Buisson, une troisième voie est à inventer. (…) Rassembler toutes les sensibilités de la droite et du centre. Refuser toute porosité avec le Front national. Ce qui fait la force d’âme de la droite, c’est d’avoir toujours préféré Charles de Gaulle à Charles Maurras, a estimé la présidente de la région Ile-de-France. Quand la droite se rétrécit elle perd, quand elle s’élargit elle gagne. »

Dimanche, l’ancienne ministre s’est montrée ferme sur les questions sécuritaires et migratoires en proposant l’installation de « centres de contrôle aux portes de l’Europe ». Mais elle s’est aussi fait la porte-parole d’une droite plus moderne. Elle a ainsi rendu hommage à Simone Veil, en promettant de faire de l’égalité entre les hommes et les femmes la priorité de son engagement mais aussi en se prononçant contre l’abrogation du mariage homosexuel, un sujet toujours clivant à droite. « Arrêtons ainsi de promettre l’abrogation de la loi Taubira sur le mariage pour tous. Nous savons bien qu’il est impossible d’y revenir car, derrière cette loi, il y a des couples qui s’aiment », a-t-elle lancé en se décrivant comme une gaulliste sociale. Une façon de se différencier une nouvelle fois de M. Wauquiez qui a des liens avec Sens commun, l’émanation politique de La Manif pour tous.

Avec ce discours et le lancement de Libres !, Mme Pécresse prend date dans la bataille pour le leadership à droite. Contrairement aux Constructifs qui ont fondé un groupe dissident à l’Assemblée et ont fait le deuil d’un parti potentiellement dirigé par Laurent Wauquiez, la présidente de la région Ile-de-France a répété plusieurs fois que son mouvement s’inscrivait au sein de LR. « Elle a choisi la refondation de l’intérieur, explique un de ses proches. L’idée, c’est aussi de retenir des gens qui seraient tentés d’aller voir ailleurs, d’éviter une hémorragie. Le rêve de Macron, c’est d’avoir seulement Mélenchon et Wauquiez face à lui. Nous représentons une alternative. »

Mme Pécresse est condamnée à parier sur le temps long

Pourtant poussée par de nombreux élus, la présidente de la région Ile-de-France ne s’est pas présentée face à M. Wauquiez. Selon plusieurs de ses proches, elle ne s’est jamais posé la question de sa candidature à la présidence du parti. Elle tient à faire ses preuves à la tête de sa collectivité et est surtout consciente de la popularité de M. Wauquiez chez les militants très sarkozystes. Ses proches la décrivent « à l’intersection » des différentes droites et parient qu’elle peut peser face à Laurent Wauquiez dans les années à venir. La présidente de la région Ile-de-France a, elle, été longtemps proche de François Fillon avant de rejoindre Alain Juppé lors de la campagne de la primaire. Europhile et libérale, elle s’adresse à un électorat qui avait été séduit par le maire de Bordeaux et qui est aujourd’hui attiré par M. Macron.

Pour incarner une alternative, Mme Pécresse est donc condamnée à parier sur le temps long, et sur l’éventuelle déception de l’électorat de droite à l’égard du président de la République, notamment les milieux ruraux et périurbains. Dimanche, elle a pris bien soin de s’afficher aux côtés de nombreux maires, notamment Natacha Bouchart, maire de Calais (Pas-de-Calais), Robin Reda, maire de Savigny-sur-Orge (Essonne), ou Frédéric Soulier, maire de Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Dans le JDD, soixante-quinze personnalités de droite, dont Florence Berthout, présidente du groupe LR au Conseil de Paris, David Lisnard, maire de Cannes, ou David Douillet lui ont apporté leur soutien.

A court terme, le principal problème de Mme Pécresse est la division des opposants à M. Wauquiez. Impossible pour l’instant de réunir ces modérés sous la même bannière. Tout un pan du juppéisme et de la droite a décidé de participer à la majorité de M. Macron au sein des Constructifs tandis que Xavier Bertrand et Christian Estrosi ont leur propre agenda. Le premier dit ne plus croire dans les partis politiques et patiente en attendant son heure tandis que le second veut lui aussi structurer un réseau de maires. De son côté, Laurent Wauquiez a de bonnes chances de prendre le contrôle du parti, une forteresse où il disposera de plusieurs leviers pour essayer de rassembler les différentes familles de la droite.