Cinquante jours après l’incarcération de Loup Bureau, inquiétude et colère de ses proches
Cinquante jours après l’incarcération de Loup Bureau, inquiétude et colère de ses proches
Par Cécile Bouanchaud
Les avocats et les proches du journaliste dénoncent « des discussions diplomatiques qui stagnent » et attendent des actes pour que cesse sa « détention arbitraire ».
Un photo du journaliste Loup Bureau, affichée devant le conseil départemental de Nantes, d’où le jeune homme est originaire. / LOIC VENANCE / AFP
Dans les geôles de la prison de Sirnak (Turquie), où il est incarcéré à l’isolement depuis cinquante jours, le journaliste Loup Bureau a pour seuls compagnons trois livres, des grands classiques de la littérature : William Shakespeare, Marcel Proust et James Joyce. A entendre ses proches parler d’une incarcération « gratuite » et « arbitraire », d’une enquête « dont personne ne sait rien », bref d’« une situation aussi ubuesque qu’inadmissible », on pense à Franz Kafka et à son Procès, un ouvrage posthume racontant l’histoire de Joseph K., héros anonyme qui se réveille un beau matin dans une cellule où des individus lui signifient son arrestation pour des raisons inconnues.
« Loup ne comprend pas pourquoi il est incarcéré et il ne sait pas quand il sera libéré », résume son père, Loïc Bureau, évoquant « le sentiment d’injustice » qui assaille son fils, interpellé le 26 juillet à Silopi, dans la province de Sirnak, à la frontière entre l’Irak et la Turquie, où il s’apprêtait à rejoindre les populations kurdes prises entre deux pays, entre deux guerres. Quelques jours plus tard, le jeune homme de 27 ans a été mis en examen pour « appartenance » à une organisation terroriste, sans que cette dernière soit nommée.
Dans l’acte d’accusation, il est seulement fait référence à un reportage sur les Kurdes syriens et sur leurs milices armées ( les unités de protection du peuple, YPG), une organisation considérée comme terroriste par la Turquie, qui les combat militairement. Lorsque ce documentaire a été tourné, en 2013, le pays était en paix avec le Parti de l’union démocratique (PYD) – dont les YPG sont le bras armé – avant que les choses se gâtent en 2015.
« Noir complet »
Comme il est de coutume dans le cadre d’affaires liées au terrorisme, les avocats n’ont accès à aucun élément de l’enquête, ni aux points sur lesquels portent les investigations. « Nous sommes dans le noir complet, l’enquête se déroule dans le plus grand secret », fait savoir Martin Pradel, l’un des avocats de Loup Bureau, qui souligne que cette posture « pose problème pour organiser la défense ».
Mercredi 6 septembre, la justice turque a rejeté en appel la demande de libération du journaliste de 27 ans. Le lendemain, l’ambassadeur de Turquie en France a apporté un semblant d’explication, prévenant au passage que la procédure « prendrait un certain temps ». « Il faut être sûr que ces personnes exercent la profession de journaliste », a déclaré Ismaïl Hakki Musa, faisant référence aux autres dossiers en cour d’instruction visant des journalistes – plus de 160 sont actuellement emprisonnés en Turquie.
Un coup de massue pour Loïc Bureau, qui déplore une « déclaration anachronique », qui donne l’impression « que Loup est détenu depuis une semaine ». Selon le professeur d’histoire-géographie, des experts ont été mandatés depuis plusieurs semaines pour lever les doutes sur le statut de son fils. « A Sirnak, personne ne croit à la culpabilité de Loup, mais il y a un blocage au niveau du ministère de la justice, voire plus haut », croit savoir le père de famille.
Loic Bureau, le père du journaliste Loup Bureau, retenu en Turquie depuis le 26 juillet. / THOMAS SAMSON / AFP
« Cinquante jours pour vérifier qu’il est journaliste, c’est inimaginable », soutient Me Pradel, qui « n’ose pas imaginer que ces poursuites puissent aller jusqu’à un procès ». En Turquie, la participation à un groupe terroriste est passible d’une peine de trente ans de prison. L’avocat, qui compte saisir la cour constitutionnelle du pays, fustige également l’ambivalence des autorités turques :
« On ne peut pas prétendre lutter contre le terrorisme si on estime que des journalistes sont des terroristes. »
Détention sévère
A deux reprises, le président Emmanuel Macron s’est entretenu avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, pour réclamer « la libération rapide du journaliste ». En vain. En sous-main, le quai d’Orsay discute également avec les autorités turques, rapporte le père de Loup Bureau. « On s’approche des deux mois et il ne s’est rien passé. On entre dans la période inadmissible », prévient le professeur qui attend des autorités qu’elles « changent de stratégie si la première ne fonctionne pas ».
« Il y a un temps pour le dialogue, ce temps arrive à son terme », résume Me Pradel, qui estime que le règlement de cette affaire doit être « un préalable au règlement de toutes les autres entre les deux pays ». Une allusion à la prochaine visite de Jean-Luc Le Drian en Turquie, jeudi 14 septembre. Sur le papier, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères doit sceller un accord commercial entre les deux pays. Le comité de soutien, qui organise deux rassemblements à Nantes et Bruxelles samedi, a saisi l’occasion de ce voyage officiel pour interpeller le ministre sur les réseaux sociaux et réclamer « qu’il revienne avec Loup ».
Depuis le placement en détention du jeune homme, de nombreuses actions ont été menées, notamment l’envoi massif, début septembre, de cartes postales écrites en turc. « Nous avons su que son moral était en berne, alors on a cherché un moyen de lui apporter du réconfort, et d’alerter sur la situation », confie Benoit Le Corre, journaliste et ami, qui fait savoir que près de 400 courriers ont été envoyés. « Pour l’instant, Loup n’a rien reçu, alors que le droit turc n’interdit pas ce genre de démarche », rapporte Loïc Bureau, évoquant « des conditions de détention sévères », « une camisole pénitentiaire proche de celle d’un otage ».
Maire du 4e arrondissement de Paris, rassemblement de soutien à Loup Bureau, le 24 août 2017 à Paris. / THOMAS SAMSON / AFP
Les seules lettres que le journaliste a reçues sont celles de son amie, de ses parents, et de l’ambassadeur de France en Turquie, transmises par le consul, que le jeune homme a rencontré à deux reprises. Dans leurs mots, ses proches évoquent « la mobilisation sans faille de ses amis, de la société civile et de certains politiques ». Depuis sa cellule de Sirnak, ces nouvelles sporadiques redonnent à Loup Bureau « l’espoir qu’il n’avait plus et le courage de se lever le matin », écrit-il dans l’unique lettre qu’il a pu envoyer à son amie, Maud Margenat, qui craint « que la situation stagne et qu’il soit oublié ».
De ses conditions de détention, le jeune homme se plaint peu, évoquant seulement « sa vie de zombie », rythmée par une promenade de cinq minutes dans une cour fermée, et des programmes de télévision turcs « auxquels il ne comprend rien », seulement l’heure qui s’affiche. Son père, qui peut s’entretenir cinq minutes avec lui toutes les deux semaines, rapporte que son fils vit difficilement l’isolement. Si Maud Margenat pouvait lui parler, elle lui dirait une chose, à cet amoureux qui « s’inquiète toujours plus pour les autres que pour lui-même » : « cette fois c’est à nous, surtout tiens bon. »