La mobilisation contre la réforme du code du travail, mardi 12 septembre, a été jugée « réussie » par la CGT. L’exécutif, de son côté, continue à afficher sa sérénité face aux manifestants.

Quel bilan tirer de cette première journée de manifestations ? Raphaëlle Besse Desmoulières, journaliste au service politique du « Monde », a répondu à vos questions.


-Yperithe : Les manifestations peuvent-elles avoir un impact sur la mise en place des ordonnances ? Existe-il un contre-pouvoir à même de bloquer ces ordonnances ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Vu le calendrier, cela semble très peu probable. Les ordonnances doivent être présentées en conseil des ministres le vendredi 22 septembre et publiées au Journal officiel dans la foulée. Ensuite, un projet de loi de ratification sera débattu au Parlement, probablement en octobre. A moins d’un événement exceptionnel, comme les manifestations contre le contrat première embauche de 2006, on voit mal comme le gouvernement pourrait revenir sur ce calendrier.

-Raph : Au vu de l’ordre dispersé des syndicats en amont de cette manifestation (et des autres à venir), comment celle-ci peut-elle être considérée comme étant « réussie » par la CGT, en déclin après les dernières élections prud’homales ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : La CGT s’est effectivement réjouie de cette mobilisation. Les chiffres qu’elle a annoncés (près de 500 000 manifestants sur toute la France) et ceux du ministère de l’intérieur (223 000) sont proches de ceux relevés lors de la première manifestation contre la loi travail portée par Myriam El Khomri, le 9 mars 2016. Mais à cette époque, la centrale de Montreuil était descendue dans la rue aux côtés de Force ouvrière (FO) qui avait apporté des renforts non négligeables. Cette fois, c’est seulement avec la FSU, Solidaires et l’UNEF (déjà présents en 2016) qu’elle parvient à mobiliser autant. Autre motif de satisfaction pour la CGT : la présence dans les cortèges de militants syndicaux dont les directions n’avaient pas appelé à battre le pavé, non seulement de FO mais aussi de la CDFT et de la CFE-CGC (cadres).

-75011 : Les syndicalistes FO et CFDT ont-ils été nombreux, hier, dans les cortèges malgré l’appel de ces centrales à ne pas participer au mouvement ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : J’étais présente hier dans le cortège parisien. Les militants de FO étaient en queue de cortège et étaient venus relativement nombreux alors que leur direction confédérale n’appelait pas à manifester. Il y avait aussi des syndiqués CFDT, repérables à leur ballon orange, mais ils n’étaient que quelques dizaines. Idem pour ceux de la CFE-CGC. Eux avaient choisi de se poster sur les marches de l’Opéra-Bastille mais de ne pas défiler.

-75011 : Quels sont les prochains rendez-vous de la mobilisation des salariés suite à cette première journée d’action ? Doit-on s’attendre à une amplification ou au contraire à une diminution de la mobilisation ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Deux dates figurent à l’agenda social la semaine prochaine. Avant même de connaître le résultat du 12 septembre, la CGT a appelé à une nouvelle journée de mobilisation le 21 septembre. C’est-à-dire à la veille de la présentation des ordonnances en conseil des ministres. Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, a fait savoir mercredi que son syndicat n’appellerait, pas plus que le 12, à se mobiliser.

Difficile de dire quel sera le succès de cette journée de mobilisation qui se déroulera à peine une semaine après celle de mardi. Pour être réussie, les chiffres de mobilisation devront être supérieurs à ceux du 12. On peut cependant noter que, mercredi, les fédérations CGT et FO des transports ont appelé les routiers à une grève reconductible à partir du 25 septembre et la CFDT et la CFTC à une « mobilisation » le 18 septembre pour combattre la réforme du code du travail.

Deux jours plus tard, samedi 23 septembre, c’est La France insoumise qui a donné rendez-vous à Paris à ses sympathisants pour défiler contre ce qu’elle considère comme un « coup d’Etat social ». L’enjeu pour Jean-Luc Mélenchon est de se positionner non seulement comme le principal opposant à l’Assemblée nationale mais aussi dans la rue.

Même si le contexte est différent - on était alors en pleine campagne présidentielle -, la marche qu’il avait organisée le 18 mars entre Bastille et République avait été un succès : il avait réussi, sans l’aide du Parti communiste, à faire une véritable démonstration de force en réunissant plusieurs dizaines de milliers de personnes - 130 000 selon les organisateurs.

-VR : Comment la police compte-t-elle les participants ? N’existe-t-il pas d’observateur tiers et fiable ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Pour répondre à cette question, je vous renvoie à ce papier réalisé par Samuel Laurent, des Décodeurs, lors des manifestations contre la loi travail de 2016.

-Gregory : Est-il possible que ce mouvement perdure après la ratification du Parlement en octobre ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Là encore, difficile de répondre à cette question mais plusieurs foyers de mécontentements sont en train, ou pourraient se développer. Il y a bien sûr cette première mobilisation contre la réforme du droit du travail. Comme je l’ai dit, les fédérations CGT et FO des transports ont appelé, mercredi, les routiers à une grève reconductible à partir du 25 septembre et la CFDT et la CFTC à une « mobilisation » le 18 septembre pour combattre la réforme du code du travail.

Mais d’autres annonces durant l’été ont fortement déplu, comme la baisse des APL ou la diminution du nombre de contrats aidés. Des craintes existent aussi face à la hausse programmée de la CSG en janvier 2018. Les fonctionnaires sont également inquiets après l’annonce du gel de leur point d’indice en 2018 qui sert à calculer leur salaire ou le rétablissement du jour de carence, également prévu pour l’année prochaine. Une intersyndicale se réunit jeudi et pourrait envisager une journée de mobilisation en octobre.

Autre sujet d’inquiétude pour le gouvernement : la rentrée universitaire, qui s’annonce tendue entre la baisse des APL, des bacheliers qui n’ont toujours pas de place en fac ou encore le risque de voir s’instaurer une sélection à l’entrée de l’université.

La grande crainte du gouvernement, comme de tous ceux qui l’ont précédé, serait de voir ces différents mécontentements, qui avancent pour l’heure en ordre dispersé, se coaguler pour ne former qu’un.

-Cap : Quelles marges de manœuvre restent-ils aux syndicats avant l’adoption du texte, outre d’essayer de mobiliser les foules ? Des modifications sont-elles envisageables suite à des négociations ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Comme je l’ai dit plus haut, la marge de manœuvre des syndicats est très faible, vu le calendrier, d’autant plus qu’ils sont divisés. Il faudrait une mobilisation de très forte ampleur pour que le gouvernement puisse envisager de bouger. A l’heure actuelle, il n’a aucune raison de le faire alors qu’il met en place l’une des promesses de campagne les plus emblématiques du candidat Macron. Pour le président de la République, reculer aujourd’hui, alors qu’il n’est là que depuis quelques mois, rendrait la suite de son quinquennat bien compliquée.

-Slafleur : Les syndicats sont-ils unis quant à la manière dont ils souhaitent contrer la réforme ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Non. Et c’est une des premières victoires d’Emmanuel Macron : il a réussi à ramener dans le jeu de la concertation le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, qui était pourtant l’un des opposants les plus farouches à la loi travail de 2016. Ce faisant, il a réussi à casser le front syndical.

Même si la plupart des organisations syndicales ont critiqué les ordonnances, seule la CGT parmi les cinq organisations représentatives, a appelé à manifester. Malgré « des points fondamentaux de désaccord », M. Mailly ne l’a pas rejoint, lui qui estime avoir obtenu le renforcement du rôle de la branche.

Malgré sa « déception », la CFDT, qui n’était pas descendue dans la rue en 2016, n’a pas non plus appelé à se mobiliser. Et FO comme la CFDT jouent aussi le coup suivant, la réforme de l’assurance chômage et de la formation professionnelle qui est programmée pour ces prochains mois.