« Allô ? Vous voulez qu’on vous livre un colis ? OK, on vous envoie un livreur. » Dans la salle de réunion de sa start-up MobileLab, Gloria Accrombessi enregistre une nouvelle commande. A l’autre bout du fil, la cliente demande à se faire livrer un téléphone portable à Dowa, un quartier de Porto-Novo, la capitale politique du Bénin. Gloria, 25 ans, raccroche et fixe le montant de la course (3 000 francs CFA, soit 4,50 euros), tandis qu’un de ses collègues désigne un livreur pour transporter le colis.

Cette scène se répète plusieurs fois par jour à Cotonou. Ainsi va le quotidien de la jeune équipe qui fait tourner ZemExpress, une application mobile de transport et de livraison dans la capitale et ses environs. Lancé en décembre 2016, le service s’appuie sur les motos-taxis, les fameux « zémidjans », omniprésents au Bénin.

En l’absence de transports en commun efficaces, plus de 150 000 motos-taxis, conduits essentiellement par de jeunes chômeurs, sillonnent les rues de Cotonou à la recherche de clients. Rapide et peu cher, c’est le principal mode de transport des Béninois, et ZemExpress consacre son « ubérisation », sur le modèle de la fameuse entreprise de voitures avec chauffeur qui met en relation professionnels et clients de façon quasi instantanée grâce au numérique.

C’est en voulant créer avec des amis une plateforme pour mettre en avant des designers locaux que Gloria Accrombessi, diplômée d’une licence en e-commerce et marketing, a pensé à développer ZemExpress. « On a été confrontés très tôt à un problème de livraison. A Cotonou, les entreprises de courrier express ont des tarifs exorbitants. Pourquoi ne pas s’appuyer sur les zémidjans ? », raconte la cofondatrice associée à une dizaine de partenaires. Mise de départ : 20 000 francs CFA (30,50 euros), qui ont servi à acheter un ordinateur portable et à confectionner l’uniforme du premier moto-taxi de la start-up.

Sur Android et WhatsApp

L’application tourne sur Android, mais, en raison de la faible bande passante Internet, une bonne partie des commandes passent par WhatsApp. Guillaume, responsable de la logistique, répartit les courses à la dizaine de zémidjans avec qui la start-up a noué un partenariat. « Nous recevons en moyenne 70 commandes par jour », dit-il. Les clients peuvent payer par mobile money (via leur téléphone) ou à la livraison.

Problème : certaines rues de Cotonou n’ont pas de nom ni de numéros. « Les livraisons prennent parfois du retard parce que le livreur perd du temps à chercher un client qui n’arrive pas lui-même à indiquer son domicile », remarque Gloria Accrombessi. Mais les zémidjans maillent bien le territoire et finissent toujours par s’y retrouver.

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Elias est l’un des dix zémidjans qui collaborent régulièrement avec la start-up. Il est devenu conducteur de moto-taxi après avoir perdu son job de docker au port de Cotonou. Il apprécie l’idée d’avoir toujours une livraison ZemExpress à faire entre deux clients. Cela lui permet de se faire plus d’argent au lieu de perdre son temps à « errer en cherchant un prochain client ». « ZemExpress représente aujourd’hui 50 % de mes revenus mensuels, qui varient entre 90 000 et 100 000 francs CFA », dit-il.

Les utilisateurs de ZemExpress sont en partie des acteurs de la restauration rapide, comme Pascal, qui livre le déjeuner à des employés de plusieurs entreprises. « Au début, en 2014, je sollicitais des amis pour livrer les plats. Mais ils n’étaient pas disponibles tout le temps. Aujourd’hui, j’ai confié toute la partie livraison à ZemExpress. Cela m’a enlevé beaucoup de la pression que j’avais à gérer en plus de préparer des plats », confie le restaurateur.

« Plus rapides que les voitures »

MobileLab propose aussi des services de transport de personnes : Wazemi Night pour les sorties de nuit et Wazemi School pour les élèves. « C’est un service que nous avons développé pour les parents qui ne sont pas disponibles pour conduire leurs enfants à l’école. Cela fonctionne par abonnement hebdomadaire ou mensuel », explique Gloria Accrombessi.

Les courses varient entre 500 et 3 000 francs CFA selon la distance. Peu diserte sur son chiffre d’affaires, Gloria Accrombessi préfère évaluer le succès de sa start-up au nombre de kilomètres parcourus : « Nous sommes à plus de 10 000 km par semaine et nous aimerions atteindre 150 trajets journaliers d’ici à six mois. »

Mais quel avenir pour une entreprise qui s’appuie sur un mode de transport qui pourrait décliner au cours des prochaines années ? En juillet, le gouvernement a mis en circulation quelque 300 véhicules dans le cadre du programme Bénin-Taxi pour moderniser le transport urbain dans les grandes villes. Le tarif minimum de la course est à 1 000 francs CFA. Mais Gloria Accrombessi se veut rassurante : « Les motos-taxis sont plus rapides que les voitures et vous évitent un temps fou dans les embouteillages. » Ce n’est pas un hasard si « zémidjan » signifie « emmène-moi vite » en langue fon.