Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, à Pretoria, le 5 avril 2017. / PHILL MAGAKOE/AFP

Groupes armés, le retour : le remaniement ministériel annoncé mardi 12 septembre en Centrafrique par le président Faustin-Archange Touadéra surprend, avec l’entrée au gouvernement, au nom de la « réconciliation nationale », de proches des milices qui sèment la violence à l’intérieur du pays. Le pays est majoritairement sous la coupe de ces groupes armés, jusque-là absents du gouvernement du président Touadéra, élu en 2016 sous l’égide de la France et des Nations unies.

Plusieurs fois, M. Touadéra a martelé que la justice serait « implacable » envers les responsables d’exactions. Mais parmi les 34 ministres qu’il a nommés dans le deuxième gouvernement de son quinquennat (contre 23 auparavant), plusieurs sont des représentants de ces groupes armés qui se battent pour le contrôle des ressources naturelles. Selon un décompte de l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled), leurs violences ont fait, à la date du 5 août, 1 145 morts depuis début 2017, souvent des civils.

« Main tendue »

Le gouvernement centrafricain met en avant sa volonté de réconciliation. « Pour moi, ce sont des Centrafricains », désamorce le chef du gouvernement, Mathieu Simplice Sarandji, interrogé par l’AFP. Parmi ces ministres figurent des représentants de milices ex-Séléka, comme Lambert Mokove Lissane (eaux et forêts) et Gontran Djono Ahaba (énergie), neveu de l’ancien président Michel Djotodia, et des anti-balaka, avec Jean-Alexandre Dedet (secrétariat du gouvernement) et Jacob Mokpem Bionli (culture et tourisme).

« C’est une main tendue aux groupes armés, et particulièrement au FPRC [Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique, ex-Séléka] », explique à l’AFP un membre du nouveau gouvernement, sous couvert d’anonymat. « Le pouvoir a fait valoir le programme Désarmement, Démobilisation, Réinsertion [DDR] comme seule et unique issue possible au conflit, mais ça n’a jamais donné grand-chose. »

Pour justifier l’inclusion de groupes armés au gouvernement, le premier ministre affirme avoir « tenu compte de l’équilibre géopolitique » en Centrafrique, où le gouvernement central peine à établir son autorité au-delà des portes de Bangui malgré la présence de 12 500 casques bleus. Les membres des groupes armés « sont des compatriotes » qui représentent « une région », a argumenté M. Sarandji.

Ces nominations « envoient un message dangereux : les stratégies violentes sont récompensées, ce qui risque d’alimenter de nouvelles vagues meurtrières », estime Nathalia Dukhan, spécialiste de la Centrafrique au sein du think-tank Enough Project. « Le fait qu’ils représentent des groupes armés ne veut plus dire grand-chose », tempère la chercheuse indépendante Enrica Picco, qui souligne l’opportunisme des « hommes politiques centrafricains », parmi « les plus caméléons au monde ».

Crimes de guerre

La Centrafrique a basculé dans le chaos en 2013, avec le renversement de l’ancien président François Bozizé par la Séléka, prétendant défendre la minorité musulmane, et qui a porté Michel Djotodia à la présidence. Ce coup de force a entraîné une contre-offensive des anti-balaka, majoritairement chrétiens.

A la démission de Djotodia pour laisser place en 2014 à un gouvernement de transition, plusieurs chefs de file de l’ex-Séléka ont rejoint des groupes armés, comme Nourredine Adam et Abdoulaye Hissène, autrefois ministres et aujourd’hui respectivement leader du FPRC et coordinateur militaire du même groupe armé à Bria (est). Ce nouveau gouvernement fait donc une place à des « éléments en provenance de l’ancien pouvoir » pro-musulman de Djotodia, résume Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Ce remaniement intervient alors qu’une Cour pénale spéciale doit bientôt commencer à instruire les nombreux crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis en Centrafrique depuis 2003 – un procureur a été nommé en juin. Dans ce contexte, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a déclaré à l’AFP que « le dialogue politique nécessaire à la sortie de la crise ne doit en aucun cas empêcher la bonne marche de la justice et la lutte contre l’impunité à laquelle s’est engagé le président Touadéra ».