« Un renouvellement politique suppose une révolution culturelle »
« Un renouvellement politique suppose une révolution culturelle »
Par Frédéric Lemaître
Sur les 577 députés de l’Assemblée nationale, 424 y sont entrés pour la première fois. Mais suffit-il de changer les hommes pour changer les pratiques ? Pour le politologue Dominique Reynié, les partis doivent encore renouveler leur culture, leur organisation et même leurs locaux.
Dans tous les partis politiques, l’heure est au renouvellement. Mais suffit-il de changer les hommes pour changer les pratiques ? les réponses de Dominique Reynié, professeur de sciences politiques à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique. Le Monde organise dans le cadre du Monde Festival un débat sur le thème « Du renouveau en politique, pour quoi faire ? », avec les députés Aurore Bergé, Adrien Quatennens et Julien Dive, dimanche 24 septembre, de 13 h 30 à 14 h 30, à l’Opéra Bastille.
En mai, vous estimiez que « le renouvellement de la vie politique est un besoin absolument essentiel de notre démocratie ». Mais suffit-il de changer les hommes pour changer les pratiques ?
Non, en effet. Il peut y avoir un renouvellement des personnes sans renouvellement des pratiques. Pour que ce dernier ait lieu, il faut que les organisations politiques soient traversées par une révolution culturelle. Si les partis restent inertes, ils peuvent se contenter de rajeunir les profils avec les mêmes biais. On l’a vu avec la situation des femmes à l’intérieur des partis. Ceux-ci ont échoué dans cette tâche élémentaire de renouveler les pratiques en instaurant une certaine parité. Ils n’ont évolué que sous la contrainte. Les partis doivent renouveler leurs pratiques, leur culture, leur organisation et même leurs rapports à leurs locaux. Ils n’ont jamais été en mesure de réfléchir à des sièges ouverts, modestes, accueillants, décentralisés. Les partis ont été incapables de renouveler leurs pratiques. C’est d’autant plus étonnant qu’il y a eu de vastes débats dans la société sur ce thème, mais les partis ont arbitré en faveur du conservatisme.
L’autre condition du renouvellement des pratiques est que celui-ci soit l’expression, ou intervienne, lors d’un changement d’époque. Or 2017 correspond à un tel changement. Pour moi, cette année est celle de la prise en compte politique par les Français de la globalisation. Les Français ont écarté les organisations politiques classiques qui géraient cette transformation de façon conservatrice en espérant conserver l’ordre ancien. L’abstention record et les votes blancs étaient l’un des signes du rejet de cette offre politique traditionnelle. 2017 marque donc la sortie d’un monde politique classique et un basculement qui reste à construire.
L’arrivée de nombreux députés inexpérimentés ne renforce-t-elle pas la verticalité du pouvoir ?
Il y a des risques paradoxaux. On avait des politiques qui avaient rarement une parole sincère. Maintenant nous avons de nouveaux élus qui sont parfois maladroits. Mais quand ils ne le seront plus, il se seront professionnalisés. Que l’on souligne tant ces maladresses me paraît constituer une anomalie. En 2017, nous avons assisté au plus grand renouvellement politique que la France ait jamais connu depuis 1958 inclus. C’est formidable. Ce qui est inquiétant, c’est qu’un tel phénomène soit si rare. Quant à la verticalité, à part les frondeurs du PS, on n’a jamais eu en France de Parlement qui fasse autre chose qu’obéir à l’exécutif, en dehors de quelques têtes d’affiche qui, souvent, agissaient par intérêt personnel. Nous ne sortons pas d’une période où le Parlement est capable de coproduire des textes de lois comme en Grande-Bretagne.
Mais il y a un vrai risque que l’opposition, malgré la pluralité qui la caractérise, soit tentée par une réaction, voire une restauration, de l’ordre ancien face à un personnel politique qu’elle ne considère pas forcément comme légitime.
Quels conseil donnez-vous aux nouveaux députés ?
La politique peut s’exercer dans deux contextes : la routine ou le bouleversement. Dans le premier cas qui a correspondu aux Trente Glorieuses les responsables politiques disposaient des concepts pour gérer les problèmes existants. Ce n’est plus le cas dans le bouleversement actuel. Le monde politique doit donc changer de rythme. Mon conseil aux nouveaux députés est simple : ils doivent beaucoup travailler. Il doivent notamment consacrer de larges plages horaires à lire et véritablement réfléchir. Ils doivent devenir des spécialistes de certains sujets. Le nombre de politiques qui consultent les experts tout en continuant de pianoter sur leur smartphone est affolant. Ce travail de fond est déterminant. Ils ne doivent surtout pas commettre l’erreur d’être toujours sur le terrain. Certes la fonction sociale et psychologique d’un député est importante, mais son travail ne peut pas se résumer à être au contact d’électeurs à qui il n’a, au fond, pas grand-chose à dire.
Etes-vous optimiste pour la législature en cours ?
Sans me prononcer sur le fond des réformes annoncées, si celles-ci sont mises en place correctement et réussissent, la probabilité d’avoir une restauration diminuera. Sinon, il y a un vrai risque d’avoir une réaction, y compris sous des formes populistes. On a exagéré l’échec du Front national au second tour. Trente-quatre pour cent, cela reste énorme. Si le renouvellement promis échoue, un retour de bâton est fort possible.
« Le Monde » organise dans le cadre du Monde Festival un débat sur le renouveau politique en France et le rôle du Parlement, avec les députés Aurore Bergé, Adrien Quatennens et Julien Dive, dimanche 24 septembre, de 13 h 30 à 14 h 30, à l’Opéra Bastille. Réservation en ligne.
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