Catalogne : « On est dans une logique de fuite en avant des deux côtés »
Catalogne : « On est dans une logique de fuite en avant des deux côtés »
Propos recueillis par Carolina Rosendorn
Selon Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste des questions ibériques à l’IRIS, Madrid a accentué la radicalisation des indépendantistes catalans.
Une femme devant des affiches pro-indépendantistes de la Gauche républicaine de Catalogne pendant la fête nationale catalane (la « Diada ») à Barcelone, le 11 septembre. / ALBERT GEA / REUTERS
Le président du gouvernement de Catalogne, Carles Puigdemont, a officiellement lancé la campagne à Tarragone, jeudi 14 septembre, pour inciter les Catalans à voter pour leur indépendance lors du référendum unilatéral prévu le 1er octobre, qui a été jugé illégal par la Cour constitutionnelle espagnole. Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste des questions ibériques à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), analyse les dessous de ces tensions.
En 2010, environ 15 % des Catalans étaient favorables à l’indépendance. Ils sont plus de 40 % aujourd’hui. Comment peut-on expliquer cette montée du sentiment séparatiste ?
Le sentiment séparatiste était en progression, effectivement, mais à l’approche du référendum on constate un petit répit. La majorité des Catalans ne se retrouvent en réalité ni dans la position du gouvernement indépendantiste de Carles Puigdemont ni dans la position immobiliste du gouvernement central de Mariano Rajoy. Certains voudraient une solution médiane, à savoir un statut d’autonomie qui reconnaisse la Catalogne comme une nation dans la nation espagnole avec des compétences fiscales élargies. En 2006, cette position, soutenue par une majorité de Catalans, avait permis l’adoption d’un nouveau statut d’autonomie [l’Estatut catalan] avec le soutien du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero et de la Gauche républicaine catalane (ERC), historiquement indépendantiste.
Le Parti populaire saisit alors le tribunal constitutionnel, qui en 2010 finit par invalider 186 des 226 articles de l’Estatut catalan. A ce moment-là, Convergence et Union [CiU, devenu PdeCat en 2016], qui était un parti nationaliste mais non indépendantiste, a basculé dans le séparatisme. Depuis, il mobilise ses électeurs aux côtés de ceux de la Gauche républicaine, qui se sont sentis trahis par Madrid alors qu’ils étaient prêts à mettre une sourdine à leurs revendications. Le divorce avec la capitale a déclenché la dérive des nationalistes, qui se sont radicalisés puisque il n’y avait plus aucune manière d’obtenir davantage de droits à l’intérieur de l’Espagne.
La bonne santé économique de la Catalogne est-elle l’une des raisons du développement du sentiment indépendantiste ?
L’un des débats centraux entre Barcelone et Madrid repose sur la prétention des Catalans à obtenir les mêmes compétences fiscales dont bénéficie le Pays basque, qui lève ses propres impôts et ensuite négocie avec Madrid ce qu’il restitue à l’Etat. Est-ce que la Catalogne – qui représente environ 20 % du PIB espagnol – est victime d’une fiscalité défavorable ? C’est une vieille revendication partagée par la plupart des régions riches de l’Europe, qui ne veulent pas payer pour les régions pauvres au nom de la solidarité nationale. Ce qui fait débat en Catalogne c’est jusqu’où doit aller cette solidarité. Du côté de Madrid, on se demande pourquoi on devrait accorder un statut particulier aux Catalans, qui sont considérés par les citoyens de l’intérieur et le sud de l’Espagne comme des gens riches. Pour le Parti populaire, l’Espagne est une, grande et indivisible et ne supporte pas de faire des concessions au nationalisme catalan.
M. Puigdemont proclamera-t-il l’indépendance si le oui l’emporte, même si le résultat est rejeté par Madrid ?
M. Puigdemont ira sans doute jusqu’au bout de sa logique. Le oui l’emportera lors de la consultation du 1er octobre, puisque ceux qui reconnaissent l’autorité de Madrid le considèrent illégal et n’iront pas voter. Or, la loi pour l’organisation du référendum, votée à Barcelone le 7 septembre, octroie au Parlement catalan le pouvoir de proclamer l’indépendance quelle que soit l’abstention. On est dans une logique de fuite en avant des deux côtés.
Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas utilisé l’article 155 de la Constitution qui lui permettrait de suspendre le statut d’autonomie ?
Il est très difficile pour Madrid de jouer cette carte-là. Les éléments les plus radicalisés de la droite espagnole réclament effectivement l’application de cet article. Mais les socialistes refusent de soutenir une telle action, ainsi que le Parti nationaliste basque, qui a 5 députés au sein du Parlement espagnol nécessaires à Mariano Rajoy pour garder sa majorité. Ils ont d’ores et déjà prévenu que, si le gouvernement appliquait cet article, ils retireraient leur soutien au Parti populaire. Du côté catalan, les nationalistes ne vont pas non plus abandonner la cravate pour la kalachnikov. Leur bras de fer reste dans un cadre qui se veut légal, institutionnel et non violent. La seule manière de faire baisser les tensions est donc l’ouverture d’un dialogue sans conditions.
La déclaration de l’indépendance marquerait-elle instantanément la sortie de la Catalogne de l’UE ?
Ils voudraient y rester, mais Carles Puigdemont a essayé de défendre son dossier en allant d’un pays à l’autre de l’UE et personne ne l’a reçu. Il est allé à Bruxelles en mai, pour rencontrer le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui ne l’a pas reçu – alors qu’il avait reçu le président du gouvernement basque. Puis M. Juncker a rappelé, le 13 septembre au Parlement européen, que la base fondamentale de l’Europe c’est le respect des lois et des constitutions.
Catalogne : le chemin de l’indépendance en dates
Célébration de la victoire aux élections anticipées du 27 septembre 2015 de la liste commune réunissant nationalistes et indépendantistes Junts Pel Sí (« Ensemble pour le oui »). / EMILIO MORENATTI / AP
Le président du gouvernement de Catalogne, Carles Puigdemont, a annoncé vendredi 9 juin la tenue d’un référendum d’autodétermination unilatéral le 1er octobre. Les indépendantistes font ainsi un nouveau pas vers la sécession de la région, plongée depuis 2012 dans une grave crise politique avec Madrid.
Retour sur ce qui a conduit les nationalistes catalans, jusque-là prompts à demander toujours plus d’autonomie mais dans un cadre espagnol, à se rallier à l’indépendantisme. Quitte à défier les lois espagnoles…
2006 : un nouveau statut d’autonomie
L’Estatut, le nouveau statut d’autonomie qui reconnaît notamment la « Nation » catalane est approuvé au Parlement espagnol et validé par référendum en Catalogne. Mais le Parti populaire (PP, droite) dépose un recours devant le Tribunal constitutionnel.
10 juillet 2010 : première grande manifestation
Première grande manifestation à Barcelone en faveur du « droit à décider » des Catalans, en réponse à la décision du Tribunal constitutionnel de raboter une partie de l’Estatut. Plus d’un million de personnes sortent dans la rue sous le slogan « Som una Nació. Nosaltres decidim » (« Nous sommes une Nation, nous décidons »).
11 septembre 2012 : demande de référendum
Plusieurs centaines de milliers de personnes défilent pacifiquement à Barcelone en faveur d’un référendum d’indépendance et du « pacte fiscal » demandé par le président catalan, Artur Mas, c’est-à-dire de la capacité de la Catalogne à gérer les impôts prélevés dans la région.
25 novembre 2012 : élections régionales anticipées
Après le rejet du pacte fiscal par le chef du gouvernement Mariano Rajoy, des élections régionales anticipées sont convoquées. Convergence et Union, la formation d’Artur Mas, perd des voix, mais remporte l’élection avec une nouvelle feuille de route : la construction d’un Etat catalan souverain.
9 novembre 2014 : premier référendum sur l’indépendance
Malgré l’interdiction du Tribunal constitutionnel et l’opposition de Madrid, une consultation sur l’indépendance, présentée comme un « processus participatif » sans conséquence légale, est organisée en Catalogne : 80 % des votants expriment leur soutien à l’indépendance, mais le taux de participation se limite à 33 % des inscrits.
27 septembre 2015 : Junts Pel Si en tête
Les nationalistes de Convergence démocratique de Catalogne (CDC) et les indépendantistes de la Gauche républicaine catalane (ERC), ainsi que des membres d’associations indépendantistes forment une liste commune, Junts Pel Sí (« Ensemble pour le oui »), lors de nouvelles élections anticipées qualifiées de « plébiscitaires » par le gouvernement catalan. La liste remporte 39,6 % des voix et 62 députés.
9 janvier 2016 : vers l’indépendance unilatérale
Grâce au soutien du mouvement séparatiste, europhobe et anticapitaliste Candidature d’unité populaire (CUP), qui a totalisé 8 % des voix et 10 députés, les indépendantistes obtiennent une majorité parlementaire qui leur permet de lancer une nouvelle feuille de route visant à déclarer l’indépendance dans les dix-huit mois. Ils affirment qu’ils n’obéiront qu’à la « légalité catalane ». La CUP a obtenu en échange le retrait d’Artur Mas. Carles Puigdemont est élu nouveau président de la Catalogne.
13 mars 2017 : la justice condamne Artur Mas
L’ancien président catalan Artur Mas est condamné à deux ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique élective et à une amende de 36 500 euros pour avoir organisé, le 9 novembre 2014, la « consultation populaire » sur l’indépendance de la région, malgré l’interdiction prononcée, cinq jours plus tôt, par la Cour constitutionnelle. L’ancienne vice-présidente du gouvernement catalan, Joana Ortega, et l’ancienne ministre régionale de l’éducation, Irene Rigau, ont également été condamnées à six mois d’inéligibilité, en tant que « collaboratrices nécessaires ». Le vice-président Francesc Homs, quant à lui, est condamné plus tard à un an et un mois d’inéligibilité.
9 juin 2017 : annonce d’un nouveau référendum
Le président du gouvernement régional, Carles Puigdemont, annonce qu’un référendum d’autodétermination unilatéral sera organisé le dimanche 1er octobre, malgré l’opposition ferme du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Les Catalans devront répondre à la question : « Voulez-vous que la Catalogne soit un Etat indépendant sous la forme d’une république ? »
6 septembre 2017 : Barcelone vote la loi approuvant le référendum
La majorité indépendantiste du Parlement catalan valide le projet de loi sur le référendum d’autodétermination, prévoyant que ce dernier sera contraignant quel que soit le taux de participation. Le lendemain, la Cour constitutionnelle espagnole, saisie par le gouvernement espagnol, suspend le texte pour un délai de cinq mois renouvelable, mais les indépendantistes maintiennent leur projet de référendum.