Mort de la chanteuse Jacky Micaelli
Mort de la chanteuse Jacky Micaelli
Par Patrick Labesse
Pionnière féminine des polyphonies corses, elle a été emportée par un cancer le 16 septembre, à l’âge de 62 ans.
La chanteuse Jacky Micaelli est morte à Bastia, le 16 septembre, emportée par un cancer. / DR
Jacky Micaelli est morte à Bastia, sa ville natale, le 16 septembre, emportée par un cancer. « Pour moi, elle fait partie du cercle des grandes chanteuses universelles, telles Om Kalsoum, Sœur Marie Keyrouz, Yanka Rupkina ou encore Fayrouz », déclare au Monde le chanteur breton Denez. Née le 5 janvier 1955, elle était âgée de 62 ans.
Elle avait cultivé la terre avant de choisir le chant comme chemin. « Dans mes serres, en faisant mes cultures, mes semis, j’ai toujours chanté, tout en sachant que j’allais un jour me lancer dans cette voie », nous avait-elle raconté, quand nous l’avions rencontrée, chez elle, dans la campagne, près de Borgo, à une quinzaine de kilomètres au sud de Bastia. Elle avait posé sur la table deux verres et une bouteille d’alcool de noix, qu’elle faisait elle-même. « La terre, c’est là où j’ai mes racines. Chez moi, je chante toujours pieds nus. Quand je suis ainsi, je m’enfonce bien, je me sens un arbre, prête à donner des fruits et à chercher le soleil, surtout. »
Début de carrière en 1986
Formée au chant par Jean-Paul Poletti, co-créateur de Cantu U Populu Corsu, formation pionnière du renouveau de la musique corse et d’un mouvement de prise de conscience politique et culturelle qui se développe au début des années 1970 sur l’île, elle débute sa carrière en 1986 avec la parution d’un premier 45 tours, après qu’elle se soit distinguée dans un concours de chant organisé par Radio France. Sa participation à la création en Corse de Gesù al Sepolcro, un oratorio du compositeur italien Giacomo Antonio Perti (1661 -1756) lui vaudra d’autres louanges et l’occasion de se produire à La Fenice de Venise (1988) et à la Scala de Milan (1990).
En 1992, le public la découvre sur la scène du Grand Rex, à Paris, aux côtés de Jacques Higelin. Elle chante alors depuis trois ans au sein de Donnisulana, le seul groupe féminin de polyphonies corses, à l’époque, une aventure éphémère mais une belle rencontre, nous racontait-elle, « en particulier avec l’une des chanteuses, Agathe, [Agata Luciani], qui m’a encouragée à y aller, à chercher ma voie. » Elle aimait parler, de ses rencontres, de sa terre et de ses voyages, avec un certain humour. « Je me rends compte, en voyageant que je retrouve toujours un bout de ma Corse, et dans mon pays, je vois souvent un bout d’ailleurs. Chez nous, à un virage près, on change carrément. On peut se retrouver à Bethléem, au Canada, en Grèce… A l’inverse, par exemple, quand j’ai été au Japon, dans l’île de Sado, je ne pouvais pas être émerveillée par la beauté du lieu, parce que chez nous, à la sortie de Bastia, il y a des plages aussi belles ».
Jacky Micaelli - Lamentu Di Ghjesu
Durée : 06:29
Sa carrière ne suivra jamais une trajectoire toute droite. « Un coup, j’allais vers l’avenir avec des musiciens de jazz, comme Andy Emler, puis plus loin encore dans le passé, avec Marcel Pérès, qui avait retranscrit des monodies franciscaines. » Elle chantera avec la chanteuse catalane Equidad Barrès, interprètera le compositeur grec Iannis Xenakis, se produira avec le groupe de polyphonies Tavagna et le guitariste japonais Kazumi Watanabe. « La musique doit être une ouverture à tout prix, ce sont des fenêtres, des portes que l’on ouvre », insistait-elle. En 1996, paraît un premier disque en solo, Corsica Sacra (Grand Prix de l’Académie Charles Cros), un recueil de douze chants sacrés. Il sera suivi par Amor’esca, en 2001, des chansons généreuses, porteuses de mémoire, de vertiges mélancoliques et de légèreté.
En 2004 paraît son troisième album, Fiamma, enregistré en 2003, au couvent de Corbara (Haute-Corse) avec les chanteurs Marie et Jean-Etienne Langianni, directeur artistique du double album qui suit dans la foulée, Ti Ricordi. A partir de 2004, elle s’investit dans l’idée de transmission et donne régulièrement des stages de polyphonies corses. Une mission qu’elle accomplissait avec une belle énergie, commente l’une de ses proches stagiaires, l’anthropologue Catherine Herrgott. « Ce que j’essaie d’apprendre, nous confiait à ce propos Jacky Micaelli, ce n’est pas à chanter, mais le plaisir de chanter, de partager, de communier. Je vous assure que ça marche, c’est une thérapie de bonheur. Moi, cela me recharge pour l’année ».