La France sera-t-elle capable, pour l’Afrique, d’appuyer sur la touche « restart » ?
La France sera-t-elle capable, pour l’Afrique, d’appuyer sur la touche « restart » ?
Par Dalila Berritane et Aulde Courtois
Paris doit entièrement renouveler son partenariat politique, économique et culturel avec le continent, estiment les auteurs d’un rapport de l’Institut Montaigne.
Le président Emmanuel Macron à son arrivée à Bamako, en juillet 2017 / LUC GNAGO / REUTERS
En 2050, un être humain sur trois vivra en Afrique. Aujourd’hui déjà, le continent africain compte près de 500 millions de jeunes gens, soit la moitié de la population. C’est avec cette Afrique-là qu’il faudra compter. Et c’est maintenant qu’il faut refonder notre relation avec un continent qui vit une transformation profonde et qui n’a pas l’intention de s’en laisser compter ou de se faire payer de mots.
Imaginez une minute une Afrique qui aurait décidé de couper les ponts avec la France… Que se passerait-il ? Une France plus pauvre, moins influente, des fleurons industriels en grande difficulté, un réseau culturel en déshérence, une France moins solide sur le plan international ? Sans doute.
Des atouts et des faiblesses
Les atouts de la France sont indéniables. Une langue en commun dans 22 pays, une proximité culturelle et juridique qui jette des ponts entre la France et une grande partie du continent, une connaissance subtile des enjeux africains que nous envient certains Européens comme l’Allemagne ou de grands émergents comme la Chine, des entreprises françaises qui investissent plusieurs milliards d’euros sur le continent africain et qui y créent des dizaines de milliers d’emplois.
Nos faiblesses n’en demeurent pas moins criantes. Nous faisons payer à l’Afrique le prix d’un risque bien supérieur à la réalité, alors même que nos acteurs économiques reconnaissent réaliser des marges conséquentes sur le continent. La France n’a pas su proposer de stratégie économique de long terme alors qu’elle avait une connaissance fine d’une partie de ce continent. Concurrencée par les émergents, en premier lieu la Chine, elle peine à bâtir un discours renouvelé, empêtrée dans un passé qu’elle a longtemps refusé d’assumer pour avancer sereinement et qui aujourd’hui est parfois utilisé contre elle à des fins économiques.
Aujourd’hui, la Chine a pris des positions irréversibles sur le continent avec près de 18 % de parts de marchés contre 3,7 % au début des années 2000, tandis que la France dévissait en perdant dix points de parts de marché pour s’établir à 4 % en Afrique subsaharienne. Dans la partie francophone du continent, les entreprises françaises ont su résister et se réinventer. Résultat : 14 % de parts de marché.
Le choix d’un discours collectif de « restart »
Il n’y a donc pas de fatalité. Mais la France doit changer et porter une politique et une stratégie de développement économique franche en Afrique. Face à une concurrence de plus en plus rude sur un continent traversé par des risques sécuritaires qui obèrent son développement, il est impératif de laisser nos inhibitions derrière nous en faisant collectivement le choix d’un « restart » : assumer notre passé, travailler avec les nouvelles générations, favoriser la montée en puissance de champions africains, nouer des partenariats féconds, assumer nos ambitions, bâtir une politique européenne qui ne se fonde pas uniquement sur la crainte migratoire.
Ce « restart » suppose de lever des tabous : les alternances démocratiques, les droits humains, les pratiques financières de certains émergents, la corruption, le franc CFA, la difficulté pour les Africains d’obtenir des visas… Aucune de ses thématiques ne doivent être abordées à mots couverts ou laissées à des cercles d’initiés.
Des financements inadaptés
Ce « restart », l’une des principales propositions du rapport que publie l’Institut Montaigne, suppose de changer nos habitudes de financement. Même si l’on en prend le chemin, il faut aller plus vite. La France doit davantage orienter ses financements vers les ETI, les PME et les start-up. Elle doit fluidifier les relations de ses institutions avec les petites entreprises qui se sentent exclues des circuits de financement, lesquels ne semblent profiter qu’à une minorité de grands groupes, rompus à l’Afrique ou ayant une taille suffisante pour naviguer à travers la complexité des dispositifs d’aide. Pour pallier cette difficulté, nous proposons de créer un guichet unique dont le fléchage ne devra pas relever du parcours du combattant comme c’est trop souvent le cas. A moyen terme, il s’agira de concentrer nos instruments financiers dans une banque de l’export, avec de véritables compétences en matière de financement et de risque international.
Le « restart » suppose d’oser intervenir sur un champ régalien des Etats africains : l’éducation, via notamment les mécanismes de l’aide au développement, les outils numériques (m-education) ou la mise en place innovante de partenariats public-privé dans l’éducation. Le chiffre de 34 millions d’enfants africains non scolarisés (sur 59 millions dans le monde) est tout simplement scandaleux à l’heure de l’hyper connexion et de l’échange d’informations.
Parler à l’Afrique de continent à continent
Il suppose aussi de former des cadres aux métiers de techniciens, d’ingénieurs, à la maîtrise des mathématiques, à la Recherche & Développement. L’innovation est permanente en Afrique mais pour changer d’échelle, il apparaît urgent de massifier les formations, en mixant nouvelles technologies et présentiel de qualité.
Enfin, la France doit accepter de parler de continent à continent, avec l’Union Européenne. A ce titre, l’arrivée à échéance des accords de Cotonou en 2020 constitue pour la France une formidable opportunité d’appuyer sur le bouton « restart », de penser, avec le secteur privé, les relations avec l’Afrique et d’emmener l’Europe avec elle vers l’Afrique de demain.
Dalila Berritane est conseillère en stratégie africaine. Aulde Courtois est directrice générale adjointe de Spallian. Elles sont les deux co-rapporteuses du rapport de l’Institut Montaigne Prêts pour l’Afrique d’aujourd’hui. Les deux co-présidents du groupe de travail ont été Jean-Michel Huet, associé, en charge de l’équipe Africa and International Development chez BearingPoint et Dominique Lafont, fondateur et directeur de Lafont Africa Corporation, PDG du groupe belge NHV et de l’initiative Smart City Africa. Autres rapporteurs : Fabien Bouvet, administrateur civil à la direction générale du Trésor, et Ludovic Moriniere, Africa & International Development, Bearing Point.