« Le jour où les réfugiés soudanais ont chanté à la Fête de L’Huma »
« Le jour où les réfugiés soudanais ont chanté à la Fête de L’Huma »
Par Pablo Aiquel
Les Soudan Célestins Music et moi (3). Grâce à Pablo Aiquel, journaliste à Vichy, les migrants ont pu se produire à la Fête de L’Humanité. Une expérience qu’ils ne sont pas prêts d’oublier.
A gauche de l’entrée, une file d’un petit kilomètre de long. A droite, même chose. Des milliers de voitures sur les parkings. Police partout, désordre nulle part. Accès en zigzags jusqu’aux contrôles filtrants, aux côtés de jeunes punks ou de vieux militants. Dès le début, tout les a impressionnés. Invités à la Fête de L’Humanité par Le Monde et le journal communiste, huit réfugiés soudanais et érythréens ont vécu les 15, 16 et 17 septembre leur premier vrai festival.
Un mois auparavant, dans un parc vichyssois, au bord de la rivière Allier, nous faisions le bilan des premières semaines de la série des « Nouveaux arrivants ». L’idée d’aller voir un festival avait surgi, et Issam Othman, réfugié politique soudanais installé à Vichy depuis une quinzaine d’années, leur a recommandé la fête du journal créé par Jean Jaurès en 1904 qui lui a procuré tant de bons souvenirs. Contacts pris, Le Monde a pris en charge le déplacement, L’Humanité leur a proposé de jouer à l’espace Débats du village du monde, samedi à 20 heures, après une table ronde sur l’Amérique latine et une autre sur l’Afrique.
Repas « à la française »
Premier arrêt : le stand de l’Allier, leur terre d’accueil. Pâté aux pommes de terre, steak de charolais, fromage de Chambérat… Tous les produits viennent du Bourbonnais. « Née et engraissée dans l’Allier, la vache vient même de l’abattoir de Vichy », précise le militant communiste qui les sert. Pour les membres de Soudan Célestins Music, arrivés pour la plupart à l’été 2015, c’était la première fois qu’ils mangeaient un repas à la française, avec entrée, plat, fromage et dessert.
Une fois sur place, les chiffres abstraits deviennent une réalité visible. Des rues entières de stands, des piétons partout. « Nous n’avions jamais vu ça ! », raconte Ahmed, à la fin de la journée, impressionné par l’organisation. Bolkyn, lui, arbore fièrement une écharpe aux couleurs de l’Irak : « Il y a des gens de tous les pays qui dansent et chantent ensemble. J’ai chanté avec les Irakiens, ils m’ont offert cette écharpe », raconte-t-il enthousiaste.
Les Soudan Célestins Music à la Fête de L’Humanité, le 16 septembre 2017. / Emile Costard
« Un pays libre »
« Ce qui m’a le plus impressionné, c’est de voir partout le visage de Che Guevara, assure Sabry Morgan, un réfugié soudanais qui a quitté Vichy pour Melun il y a quelques mois. Dans mon pays, il est interdit d’être communiste. Voir les images du Che comme ça me va droit au cœur. Je ne suis pas communiste, mais je réalise que je suis dans un pays libre. »
Bien sûr, la diversité culturelle les a tous marqués. Du Venezuela au Vietnam, du Kurdistan à l’Irlande, ils avaient l’impression qu’il y avait réellement des représentants du monde entier. Dimanche 17 septembre, ils ont pris le temps de faire des photos souvenirs devant le bus jaune de la Fondation Abbé-Pierre, avec Alain Krivine ou en compagnie de drag-queens militants de la cause trans, dont le maquillage les a éblouis. Mais voir le stand d’une association de nudistes, dans le plus simple appareil malgré l’automne qui s’annonce, en a choqué plus d’un.
Parmi tout ce barnum étourdissant, ce sont les rencontres qui les ont le plus marqués. « Il y a des gens qui viennent de beaucoup de pays, avec des cultures différentes. Voir l’interaction sociale avec autant de gens dans un même lieu est simplement impressionnant », souligne Abdo Rsol, professeur de sociologie.
« Une joie inexplicable »
Pour Hassan, le jardinier musicien, rencontrer des gens qui viennent les voir parce qu’ils ont lu les articles dans Le Monde et qu’ils ont vu leur nom au programme de l’espace Débat, c’est inouï. « C’est une joie inexplicable. Quand je vois les gens qui dansent sur nos chansons en tigré, c’est le folklore de l’Erythrée qui est accepté, c’est magnifique », ajoute-t-il.
Ahmed insiste : « Quand tu te sens rejeté de ton pays et que tu es accueilli comme ça dans un autre, tu vois que tu n’es pas seul, tu existes. Quand les gens montent sur scène pour danser avec nous, c’est un plaisir tellement grand que ça déchire le cœur. »
Anwar, lui, pose de nombreuses questions sur le sens du mot « humanité » et le nom du journal, avant de conclure : « Il y a vraiment beaucoup d’humanité dans cette fête. Ce qui est dommage, c’est que les gouvernements, eux, n’en ont pas beaucoup. »
Pablo Aiquel est journaliste indépendant. Il travaille pour La Gazette des communes comme correspondant Auvergne et ruralités. Il est aussi membre de l’association Réseau Vichy Solidaire.
Le Monde et les Soudan Célestins Music tiennent à remercier l’Institut de recherche pour le développement (IRD) à Bondy pour les avoir logés durant la Fête de L’Huma.