« Le lien entre le travail et la vie sociale reste, pour les salariés, structuré autour du CDI »
« Le lien entre le travail et la vie sociale reste, pour les salariés, structuré autour du CDI »
Propos recueillis par Anna Villechenon
La multiplication des CDD depuis le début des années 1980 maintient les salariés dans une situation d’incertitude et augmente la précarité.
A l’heure où les ordonnances réformant le code du travail sont présentées en conseil des ministres, l’économiste Bruno Ducoudré, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), analyse l’évolution du contrat de travail. Même si le contrat à durée indéterminée (CDI) reste de loin le contrat le plus utilisé, le recours aux contrats à durée déterminée (CDD) a augmenté ces trente dernières années, avec pour conséquence principale un développement de la précarité chez les salariés en contrat temporaire.
Durant ces trente dernières années, quelle a été l’évolution des CDI et celle des CDD en France ?
Bruno Ducoudré : Depuis le début des années 1980, on constate un développement progressif des CDD par rapport aux CDI. Par exemple, l’ensemble des contrats temporaires est passé de 5 % à 13 % entre 1982 et 2012, selon le ministère du travail. Et les CDD ou contrats en intérim sont au plus haut depuis dix ans.
Cependant, le CDI est toujours le contrat le plus utilisé en France ; il représente actuellement environ 85 % des contrats. Mais si l’on regarde les embauches, elles se font majoritairement en CDD, car une grande partie de ces contrats sont ensuite renouvelés, comme les CDD dits « d’usage » dans les secteurs tels que la restauration.
Par ailleurs, on constate que les CDD sont une porte d’entrée sur le marché du travail. Ils concernent ainsi beaucoup plus les jeunes, de même que l’intérim : selon l’Insee, en 2016, 32 % des 15-24 ans ont un CDD, contre 10,5 % de l’ensemble des salariés.
Quelles sont les conséquences du recours de plus en plus important aux contrats temporaires ?
La conséquence principale est le développement de la précarité, chez les jeunes notamment, au fil des ans. Les CDD et l’intérim sont une variable d’ajustement : en période de ralentissement économique, ils ne sont pas renouvelés, et a contrario en période de croissance économique, les entreprises y ont plus recours. Nous sommes dans une situation de chômage élevé depuis trente ans, et la file d’attente pour accéder à un emploi stable s’allonge. Ce sont les jeunes, mais aussi les seniors, qui absorbent cette forme de précarité.
Mais, en période de chômage élevé, le sentiment de précarité se retrouve également chez les personnes en CDI, qui ont conscience que leur contrat ne les protège pas d’un licenciement. Aujourd’hui, dès lors que l’entreprise fait les choses dans les règles, elle peut se séparer d’un salarié plus facilement que par le passé, grâce à une législation rendue plus favorable ces trente dernières années : suppression de l’autorisation administrative de licenciement en 1986, création de la rupture conventionnelle en 2008…
Aujourd’hui, le lien entre le travail et la vie sociale reste, pour les salariés, structuré autour du CDI, en raison des exigences de la société – notamment pour accéder à un logement, à un crédit, etc. –, ce qui ne permet pas aux salariés en contrat temporaire de se projeter vers l’avenir et les maintient dans une situation d’incertitude.
La réforme du code du travail va-t-elle favoriser le recours aux CDI ?
Il y a en tout cas un pan de la réforme qui poursuit cet objectif, à travers le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif. Cette mesure a pour objectif de sécuriser l’employeur, ce qui pourrait donc l’inciter à embaucher en CDI plutôt qu’en CDD. Reste à voir si les patrons suivront.
Rappelons toutefois que les principaux déterminants de l’emploi évoqués par les chefs d’entreprise restent le niveau de l’activité économique – les carnets de commandes –, le coût du travail ou encore les difficultés de recrutement, il ne faut donc pas attendre d’effet massif d’une telle mesure sur l’emploi et le chômage.
En effet, ce sont d’abord les employeurs qui sont visés par cette réforme. Cette dernière n’a pas pour objectif premier de faire baisser le chômage, mais de donner de la flexibilité aux entreprises, ce qui va avoir pour conséquence d’amplifier les cycles économiques : faciliter les embauches pour les entreprises qui se portent bien, mais également faciliter les licenciements pour celles dont l’activité se porte moins bien.
Code du travail : une journée sur Le Monde.fr consacrée aux enjeux de la réforme
Les ordonnances réformant le code du travail sont présentées vendredi 22 septembre en conseil des ministres, à la veille et au lendemain de nouvelles mobilisations sociales contre cette réforme. A cette occasion, les équipes du Monde.fr organisent une journée spéciale ponctuée par plusieurs rendez-vous :
Le matin, Sarah Belouezzane, journaliste chargée des questions liées à l’emploi au service politique du Monde, reviendra sur les enjeux de la réforme et sur la mobilisation de jeudi.
L’après-midi, Thomas Breda, chargé de recherche au CNRS, spécialisé en économie du travail, répondra aux questions des lecteurs à propos de l’impact de la réforme sur les salariés et sur les négociations au sein des entreprises.
“La réforme du code du travail, une exception européenne ?” Pour conclure cette journée spéciale, la directrice de recherche au CNRS et docteure en droit Emmanuelle Mazuyer échangera avec les lecteurs sur la manière dont cette réforme s’inscrit plus largement dans un mouvement de réforme européen.
Tout au long de la journée, retrouvez par ailleurs des éléments d’analyse et d’explication de cette réforme, des témoignages de salariés et les réactions politiques et syndicales au lendemain de la deuxième journée de mobilisation nationale.