Baisse de l’APL : étudiants et autres allocataires se préparent à encore plus de précarité
Baisse de l’APL : étudiants et autres allocataires se préparent à encore plus de précarité
Par Anna Villechenon
Des allocataires ont expliqué au Monde.fr comment ils vivaient la baisse de 5 euros par mois de l’aide personnalisée au logement, qui entre en vigueur dimanche 1er octobre.
Manifestation contre la baisse de cinq euros par mois de l’Aide personnalisée au logement, à La Défense, le 21 septembre. / MICHEL STOUPAK / NURPHOTO / AFP
« Mais pourquoi ne viens-tu pas ce soir ? » A cette question récurrente, Elisa D. a appris à « trouver des excuses », surtout la première année. Avant de capituler. Par envie de profiter de sa vie d’étudiante malgré un budget serré, « car vivre ne se résume pas à manger, se laver et dormir ». Mais aussi de se construire un réseau. « En école de commerce, c’est pendant les soirées » qu’on se fait des contacts, explique la jeune femme, actuellement en stage au Danemark.
Alors, pour ne pas être renvoyée systématiquement « dans la catégorie “boursiers” » – « c’est vu comme péjoratif » –, l’étudiante de 22 ans a choisi de faire des économies sur la nourriture plutôt que sur les loisirs, en prévision de la baisse de 5 euros par mois de l’aide personnalisée au logement (APL), qui entre en vigueur le 1er octobre.
« Cela peut paraître dérisoire », mais sur les 100 euros qui lui restent par mois pour vivre, cette baisse représente « trois jours de repas », « que des pâtes ».
C’est « énorme »
Répondant à un appel à témoignages du Monde.fr, plusieurs étudiants nous ont expliqué ce que cette baisse représentait à leurs yeux. Pour Pauline R., qui insiste sur le fait qu’elle ne fait « pas partie des plus démunis », c’est « énorme » :
« C’est presque deux repas complets et équilibrés au RU [restaurant universitaire] qui se transforment en pâtes au beurre. C’est une sortie au cinéma ou un verre avec des amis après les cours. C’est deux séances à la piscine de mon quartier. C’est trois allers-retours en covoiturage en moins par an pour aller voir ma famille pendant les vacances. C’est un nouveau manteau pour cet hiver. (…) Pour certains, c’est cinq repas en moins, un rendez-vous chez le dentiste ou l’ophtalmo qui attendra encore quelques mois au moins. »
Bref, « ce sont des petits plaisirs en moins, du confort retiré, une diminution de mon bien-être ». Cette étudiante de 22 ans à Bordeaux le sait déjà : son propriétaire ne baissera pas son loyer pour compenser cette perte, comme l’a suggéré le président Emmanuel Macron. En 2018, il va même l’augmenter de 10 euros pour compenser l’inflation. « Nous ne vivons pas au pays des Bisounours, et il ne suffit pas de demander gentiment aux propriétaires de baisser les loyers pour qu’ils le fassent », assène-t-elle.
La capacité d’adaptation des étudiants
Salmi S., a, lui, décidé de retourner vivre chez ses parents, en Franche-Comté, quitte à faire deux fois par jour, en train, les 90 kilomètres qui le séparent de son entreprise. « C’est un tout, je me suis dit que ces cinq euros allaient me faire flancher », relate l’étudiant en alternance. Comprendre ne plus réussir à boucler les fins de mois, « déjà très justes ».
Ce retour au bercail familial lui fait économiser environ 150 euros par mois. De quoi anticiper, selon lui, d’autres baisses éventuelles auxquelles il se prépare déjà. « On ne sait pas à quoi s’attendre, le gouvernement va peut-être réduire d’autres aides » plus tard, anticipe-t-il sur un ton mi-blasé mi-résigné.
Des témoignages recueillis ressort surtout, chez les étudiants, leur capacité à s’adapter un peu plus à une précarité que beaucoup connaissent déjà, et à laquelle ils font face, faute de pouvoir faire autrement.
Christophe Courivaud, étudiant de 23 ans à Tours, a certes « un peu grincé des dents », en se demandant si « faire des économies sur le dos des étudiants qui ont déjà très peu d’aides était une bonne idée ». Mais il explique sans colère qu’il va devoir travailler un peu plus en dehors des cours ou l’été pour compenser la perte de l’équivalent d’« un mois de courses » par an.
D’autres étudiants, tout en admettant que certains soient « réellement embêtés par cette baisse », ne se sentent pas affectés et sont même prêts à « consentir à un effort ». A l’instar de Louis D., étudiant à Bordeaux, qui estime que « le dispositif doit évoluer » : « Les aides pourraient être ensuite réallouées à d’autres qui en ont plus besoin. »
Thomas M., étudiant informaticien en alternance, se considère même gagnant, à terme, avec la hausse annoncée de la prime d’activité, et la baisse prévue de la taxe d’habitation, en 2018. En attendant, ces 5 euros représentent pour lui « moins de 0,5 % de baisse » par rapport à son budget global. Minime perte qu’il compte compenser en fumant moins ou en réduisant ses dépenses « inutiles ».
Quinze ans de précarité, malgré « deux bac + 2 »
Bien que la majorité des témoignages reçus provienne d’étudiants, ces derniers représentent moins d’un sixième des allocataires d’aides au logement. Actuellement, plus de 6 millions de foyers, dont environ 800 000 étudiants, comptent sur ces aides, qui se décomposent en trois catégories, toutes versées par la caisse d’allocations familiales :
- l’aide personnalisée au logement (APL) ;
- l’allocation de logement familial (ALF) ;
- l’allocation de logement social (ALS).
Cela fait quinze ans que Guillaume G., 35 ans, sans emploi actuellement, touche régulièrement des aides au logement. Depuis quinze ans, malgré « deux bac + 2 », il alterne « sans fin CDD [contrat à durée déterminée], chômage, RSA [revenu de solidarité active], contrat aidé, intérim, chômage, RSA, contrat aidé, chômage, RSA… ».
Alors il a tout prévu pour compenser cette baisse de 5 euros pour les années à venir, quitte à bouleverser son quotidien. Dans un premier temps, en renégociant son abonnement Internet, dans un second temps en réfléchissant à se mettre en colocation afin de « partager les coûts ».
« Situation critique »
Pour Karine Andreï aussi, « chaque euro compte ». Ancienne photographe et infographiste de 31 ans, elle s’est installée dans le Puy-de-Dôme, il y a trois ans, pour élever des brebis. Impossible, dit-elle, de travailler plus, elle qui passe déjà « plus de soixante-dix heures par semaine » sur son exploitation.
« Je suis repartie de zéro. Cela prend énormément de temps de tout construire », explique l’agricultrice, qui se paie actuellement 300 euros par mois. Or, les aides sociales, qui lui permettaient de combler ses revenus ces dernières années, diminuent comme peau de chagrin :
« Entre cette perte et la suppression de l’aide au maintien de l’agriculture biologique, je suis dans une situation critique. Cette baisse ne fait qu’accompagner les personnes fragiles vers encore plus de précarité. »
« Dans les reportages, on a beaucoup entendu les étudiants, pour qui cette baisse est temporaire, dit-elle doucement. On peut se dire “ça va passer, ils ne seront pas étudiants toute leur vie”. Mais il y a aussi les gens comme moi, qui ne savent pas quand ça va se terminer. »