Editorial du « Monde ». C’est le propre du show-business : des robes noires des Golden Globes californiens et des Bafta londoniens, les 7 janvier et 18 février, jusqu’aux rubans blancs arborés lors de la remise des Césars parisiens, vendredi 2 mars, les grandes industries cinématographiques ont ostensiblement déployé leur soutien à la cause des femmes. Ces démonstrations, que prolongera, à n’en pas douter, la remise des Oscars américains ce week-end, témoignent de la place centrale que le cinéma a prise dans le combat pour l’égalité entre les genres.

Ce rôle, le cinéma le doit à Harvey Weinstein. Depuis la révélation par le New York Times et le New Yorker, le 5 octobre 2017, des agressions sexuelles en série commises par le producteur de Pulp Fiction et de Gangs of New York, accusations et mises à l’écart n’ont plus cessé. L’acteur Kevin Spacey et le responsable de création chez Disney-Pixar John Lasseter, le vénérable Dustin Hoffman et le juvénile Casey Affleck, cibles de mises en causes circonstanciées, ont dû renoncer qui à un rôle aussitôt confié à un autre, qui à l’un des postes les plus prestigieux du cinéma américain, qui, enfin, à participer à la cérémonie des Oscars.

Parole libérée d’une autre manière

Le séisme qui secoue la planète cinéma n’est pas moindre en Europe. Si les droits et les cultures y rendent plus difficiles les accusations nominatives, la parole des femmes s’est libérée d’une autre manière. Les professionnelles du cinéma ont relancé le débat sur l’inégalité entre genres dans leurs métiers. Aux Etats-Unis, la directrice de la photographie Rachel Morrison est la première femme, depuis la fondation des Oscars en 1929, à être nommée dans sa catégorie. En France, Tonie Marshall, qui a remporté le César de la réalisation en 2000, récompense qui n’était jamais allée à une femme, attend toujours une successeure.

Si bien que les regards se tournent vers l’Europe du Nord, en particulier vers la Suède, où la parité dans les instances attribuant les fonds publics a été instituée, où ces fonds devront pour moitié être attribués à des projets portés par des femmes, à condition que le personnel et les dirigeants des sociétés produisant ces films aient consacré une journée de formation à la lutte contre le harcèlement.

Dans le sillage de l’affaire Weinstein, on est donc passé en quelques mois du déballage au débat, et l’on voit maintenant poindre l’adoption de mesures concrètes. La rapidité et l’ampleur de la secousse tiennent à la nature même du cinéma, à son exposition au regard de tous, à son extrême sensibilité aux mouvements de l’opinion – lorsqu’un producteur remercie un acteur ou un metteur en scène qui fait l’objet d’accusations, la décision est au moins autant économique qu’éthique, il s’agit de protéger la campagne de marketing et les recettes au box-office.

Ce serait pourtant une erreur de considérer que les ingrédients de la crise actuelle – les violences faites aux femmes, l’inégalité dans les salaires, l’accès aux financements ou aux postes de responsabilité – bouillonnent en vase clos. Les gens de cinéma ont beau s’habiller différemment des autres les soirs de Césars ou d’Oscars, ils vivent dans la même société que le commun des mortels. C’est à l’ensemble de cette société de faire en sorte que le débat en cours ne reste pas l’apanage du seul 7e art. C’est à l’ensemble de cette société de promouvoir les avancées salutaires dont il est porteur, afin qu’elles bénéficient à toutes et à tous.