« Au Congo, l’art est la seule forme de résistance. Danser, c’est vouloir vivre ! »
« Au Congo, l’art est la seule forme de résistance. Danser, c’est vouloir vivre ! »
Par Séverine Kodjo-Grandvaux (Limoges, envoyée spéciale)
Aux Francophonies en Limousin, le chorégraphe DeLaVallet Bidiefono a présenté sa nouvelle création, « Monstres ». Un spectacle ambitieux et puissant.
Parce qu’il refusait la mort pour compagne, le chorégraphe DeLaVallet Bidiefono avait créé Au-delà en 2013, au Festival d’Avignon, pour dénoncer le chaos dans lequel s’épuisent les populations du Congo-Brazzaville. Depuis un quart de siècle, ses compatriotes doivent faire face quotidiennement au tragique. La guerre finie, la violence n’en reste pas moins omniprésente. En 2011, la toiture d’un marché s’effondrait ; l’année suivante, un dépôt de munitions explosait à Mpila, un avion-cargo s’écrasait sur Brazzaville… La trajectoire et l’engagement de ce danseur né à Pointe-Noire en 1980 nous rappellent ce qu’écrivait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra : « Il faut avoir encore du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. »
Parce que la guerre civile a tout dévasté et que les combattants d’hier n’ont guère reconstruit sur les ruines de leur haine, DeLaVallet Bidiefono et les danseurs de la compagnie Baninga qu’il a créée à Brazzaville en 2005 ont retroussé leurs manches pour bâtir de leurs propres mains un centre chorégraphique. Une manière d’affirmer la nécessité et la puissance de l’art. D’offrir de l’espoir à une jeunesse abandonnée par des dirigeants politiques qui n’en ont cure et de magnifier la vie.
« Au début, les gens étaient méfiants »
L’Espace Baning’Art, financé grâce aux tournées européennes du danseur, a ouvert ses portes en décembre 2015 à Kombé, un quartier populaire et excentré de la capitale congolaise. DeLaVallet Bidiefono, qui vit entre Paris et Brazzaville, y enseigne et a entrepris un travail de sensibilisation auprès du public. Chez lui, la danse a toujours été athlétique. Chaque matin, avec sa troupe, il court le long du fleuve Congo avant de répéter. Voir une vingtaine de solides hommes et femmes s’entraîner ainsi interloquait le voisinage. « Au début, les gens étaient méfiants et ne comprenaient pas toujours ce que nous faisions. Mais nous sommes allés vers eux et leur avons expliqué notre travail. Désormais, ce sont les parents eux-mêmes qui viennent nous voir et inscrire leurs enfants. La danse contemporaine ne leur fait plus peur. Ils ont réalisé qu’on pouvait aussi en vivre », explique cet autodidacte de 37 ans qui a pu bénéficier d’Ateliers de recherches chorégraphiques proposés par le Centre culturel français de Brazzaville où il s’est installé en 2001.
DeLaVallet Bidiefono et sa troupe dans son nouveau spectacle Monstres, on ne dans pas pour rien » au festival Francophonies en Limousin, le 28 septembre 2017, à Limoges. / Christophe Péan
En 2007, DeLaVallet Bidiefono a reçu le second prix des septièmes Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien à Tunis pour Ndjila na Ndjila, D’une route à l’autre, ce qui lui a donné une certaine visibilité et permis d’enchaîner les collaborations fructueuses avec, notamment, le Burkinabé Salia Sanou, ou les Français David Bobée et David Lescot.
C’est cette nécessité de créer et de construire un lieu, mais aussi un avenir, qui lui a inspiré sa dernière pièce, Monstres, on ne danse pas pour rien, présentée le 28 septembre pour la première fois à Limoges, dans le cadre des Francophonies en Limousin où il est régulièrement invité depuis 2009. « Aujourd’hui, au Congo, l’art est la seule forme de résistance. Je voulais transmettre cette énergie et donner de l’espoir grâce à mon travail. Danser, c’est vouloir vivre ! », clame-t-il.
Une étoile qui danse
Monstres est une célébration punk. La danse y est physique, acrobatique, sans pour autant se départir d’une certaine finesse et d’une poésie salvatrice. Le jeu de lumière remarquable transfigure un chantier fait de poutres métalliques en arène d’un combat étincelant et offre au spectateur des tableaux d’une esthétique sombre et lumineuse. Les danseurs sont empreints d’une rage et d’une révolte salutaires desquelles se dégage un élan vital, celui des femmes et des hommes qui redressent la tête et se tiennent debout. De ces cœurs vaillants qui refusent l’abnégation. De ces corps battants qui s’engagent du côté de la vie. Les pieds frappent le sol, les poings boxent l’air. Tout est en puissance et en détermination. Mais les visages ne sont pas guerriers. Au contraire, ils sourient et nous entraînent avec eux.
DeLaVallet Bidiefono et sa troupe dans son nouveau spectacle Monstres, on ne dans pas pour rien » au festival Francophonies en Limousin, le 28 septembre 2017, à Limoges. / Christophe Péan
Pour cette création conçue avec deux batteurs et un guitariste, DeLaVallet Bidiefono a fait appel à la Française Rébecca Chaillon dont la performance et le texte ciselé questionnent notre rapport à la vie, à la mort, au sexe, à l’amour, à la violence, et interrogent la condition noire. Cette pièce, plus ambitieuse que ses précédents spectacles, est extrêmement bien construite. En convoquant un imaginaire et un bestiaire mythologiques, DeLaVallet Bidiefono signe une création inspirée et puissante. Assurément, le chaos congolais a enfanté une étoile.
Monstres, on ne danse pas pour rien, de DeLaVallet Bidiefono, en tournée : le 16 novembre à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, le 21 novembre au Théâtre de Choisy-le-Roi…