« Débauche », « perversion », « maladie », « déviance » : ces derniers jours en Egypte, médias et autorités ont jeté l’opprobre sur l’homosexualité, sur fond de chasse à l’homme menée par la police. Depuis le scandale suscité par la présence de drapeaux arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenre), lors d’un concert du groupe libanais Mashrou’ Leila vendredi 22 septembre au Caire, les arrestations d’homosexuels supposés se multiplient.

Quelque 31 personnes ont été interpellées, dont dix en lien direct avec ce concert, et cinq autres sont recherchées par la police, selon des sources judiciaires et sécuritaires. De son côté, l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), une ONG locale, estime que le nombre de personnes arrêtées s’élève à 57 entre le 19 septembre et le 2 octobre. Parmi elles, huit ont été condamnées à des peines d’un à six ans d’emprisonnement.

« Les forces de sécurité égyptiennes se sont livrées à une rafle de dizaines de personnes et ont effectué cinq examens anaux, ce qui montre une forte escalade dans les efforts des autorités pour persécuter et intimider les membres de la communauté [LGBT] », a dénoncé lundi Najia Bounaim, directrice des campagnes Afrique du Nord d’Amnesty International.

Lundi encore, le procureur de la sécurité d’Etat a ordonné l’arrestation de deux jeunes accusés d’avoir brandi le drapeau LGBT durant le concert de Mashrou’ Leila. Le parquet a décidé de les maintenir en détention durant au moins quinze jours afin de mener une enquête pour « participation à un rassemblement illégal et incitation à la débauche ».

Dans la plupart des cas, les incriminations de « débauche » et d’« incitation à la débauche » sont utilisées par la justice pour contourner l’absence de pénalisation explicite de l’homosexualité en Egypte.

« Chasse aux sorcières »

Afficher son soutien à la cause LGBT en brandissant le drapeau arc-en-ciel est un geste rare en Egypte, société conservatrice et religieuse où l’homosexualité reste perçue comme une anomalie. Ce geste a d’autant plus enhardi les autorités égyptiennes que Mashrou’ Leila est connu mondialement comme un groupe de pop-rock arabophone engagé en faveur de la cause LGBT.

« Il est répugnant de penser que toute cette hystérie a été générée à cause de quelques enfants ayant brandi un bout de tissu qui défend l’amour », s’est ému le groupe via un post Facebook dénonçant une « chasse aux sorcières ». Déjà persona non grata en Jordanie, le groupe libanais ne devrait plus pouvoir se produire en Egypte à l’avenir, comme l’a annoncé le très conservateur Syndicat des musiciens.

Si la polémique a permis un débat marginal, via les réseaux sociaux, sur les libertés individuelles, elle a aussi été l’occasion pour les médias locaux de lancer des anathèmes contre la communauté gay. Le Conseil supérieur de régulation des médias a d’ailleurs interdit, samedi, toute « promotion de l’homosexualité » dans les médias, la qualifiant de « maladie honteuse ».

« Les médias jouent un rôle très important en promouvant un discours haineux et en appelant la police à arrêter les homosexuels », regrette Dalia Abd Al-Hameed, chargée de suivre ces dossiers à l’EIPR. Résultat : les autorités « arrêtent de manière aléatoire des personnes qui n’ont rien à voir avec le concert dans le but de les punir pour un acte pacifique tel que brandir un drapeau arc-en-ciel », ajoute-t-elle.

« Déviance sexuelle »

Un imam de la mosquée d’Al-Azhar, liée à la grande institution de l’islam sunnite, a évoqué la question lors de son prêche du vendredi : « De même qu’Al-Azhar agit contre les groupes extrémistes […], elle combattra avec force la dégénérescence et la déviance sexuelles », a-t-il déclaré. L’église copte a également manifesté son rejet de l’homosexualité.

Ce n’est pas la première fois que la répression s’abat sur la communauté LGBT en Egypte, pays le plus peuplé du monde arabe. Parmi les affaires les plus célèbres, l’arrestation en 2001 de 52 hommes au Queen Boat, boîte de nuit située sur le Nil, avait ému la communauté internationale et mobilisé les ONG.

L’Afrique, un continent homophobe ?
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