Gestion des enseignants : le sévère rapport de la Cour des comptes
Gestion des enseignants : le sévère rapport de la Cour des comptes
Par Aurélie Collas
Temps de travail, formation... les recommandations des magistrats de la rue Cambon sont hautement conflictuelles.
Peut-on réformer la gestion des enseignants ? Quel ministre prendra le risque de toucher à leur statut, leur temps de travail ou leur système de mutation ? En publiant, mercredi 4 octobre, un deuxième rapport sur ce sujet – après celui de 2013 –, la Cour des comptes dénonce de nouveau une gestion des enseignants marquée par « l’immobilisme », « les rigidités », « l’uniformité ». Le bilan des réformes menées par la gauche ces cinq dernières années est sévère – elles « n’ont pas permis une transformation en profondeur de la gestion des professeurs ». D’où le titre de ce rapport : « Gérer les enseignants autrement : une réforme qui reste à faire ».
Pire, pour les magistrats de la rue Cambon, le quinquennat précédent a tout d’une « occasion manquée ». Entre 2012 et 2017, 54 000 postes ont été créés dans l’éducation nationale, de nouvelles indemnités ont été versées, les rémunérations et les carrières ont été revalorisées, la masse salariale a augmenté de 7,5 %. Et tout cela « sans contreparties » demandées aux enseignants en matière d’organisation et de temps de travail. « L’Etat n’a pas mis à profit cet effort budgétaire important pour procéder à des réformes structurelles », déplorent-ils.
Si la juridiction financière insiste sur la gestion des 875 000 professeurs, c’est d’abord parce que la masse salariale qu’ils représentent constitue le premier budget de l’Etat. « Gérer les enseignants autrement » est un enjeu de bonne gestion de la dépense publique. Mais c’est aussi, selon la Cour, un « levier primordial » pour améliorer les résultats du système scolaire. Reste que ses 13 recommandations abordent des sujets hautement conflictuels, prompts à soulever l’opposition du syndicat majoritaire du secondaire.
Annualiser le temps de travail
Si la gauche s’est attelée à dépoussiérer les décrets de 1950 sur les missions des enseignants, le métier reste défini par un nombre d’heures de cours à assurer par semaine : dix-huit heures pour un certifié, quinze heures pour un agrégé. Comme en 2013, la Cour des comptes plaide pour qu’il soit défini en nombre d’heures à effectuer sur l’année. Ce service « annualisé » comprendrait les heures de cours, mais aussi les missions effectuées hors de la classe (projets, formations, etc.).
Cette nouvelle définition du métier pourrait permettre, selon la Cour, de s’adapter aux besoins des élèves qui fluctuent au fil des mois, de réduire la perte d’heures de cours en fin d’année liée aux examens, qui n’est pas compensée, aujourd’hui, par plus d’heures en début d’année. Elle aurait enfin pour effet d’améliorer le remplacement des enseignants absents, alors que seuls « 5 à 20 % » des absences de courte durée sont remplacées dans le secondaire (77 % au primaire), indique le rapport.
Enseigner plusieurs disciplines
Autre sujet sensible, la « bivalence ». L’enseignement de deux matières par les professeurs est l’une des pistes évoquées par la Cour des comptes pour réformer le métier. En réalité, celle-ci existe de fait en histoire-géographie, en physique-chimie ou en français, souvent couplé avec le latin et le grec.
Pour la Cour, il faut la renforcer de façon à améliorer la transition entre le CM2 et la 6e (elle plaide ainsi pour une « polyvalence » des professeurs en 6e, sur le modèle du primaire), et à faciliter les échanges de service entre les premier et second degrés : un professeur de collège pourrait, par exemple, venir effectuer des heures dans l’école voisine, voire y être détaché provisoirement.
Changer le recrutement en ZEP
La tendance qui consiste à affecter les enseignants débutants sur les postes difficiles s’est « accentuée », déplore la Cour des comptes – et cela en dépit des mesures prises en 2014 pour améliorer l’attractivité des établissements en éducation prioritaire. Selon la Cour, la part des nouveaux titulaires affectés dans les établissements réputés difficiles est passée de 20 % à 23,6 % entre 2011 et 2016.
En cause, un système de mutation des enseignants qui permet aux plus anciens – à la tête d’un capital de points élevé, accumulé par l’ancienneté, la situation professionnelle et familiale, etc. –, de choisir leur affectation. Résultat, en éducation prioritaire, les jeunes professeurs débutants sont surreprésentés, tout comme les contractuels.
La prime de 3 000 euros en ZEP promise par Emmanuel Macron durant la campagne peut-elle permettre de surmonter cet obstacle ? Le chef de l’Etat s’est engagé à ce qu’aucun enseignant de moins de trois ans d’ancienneté ne soit affecté dans ces zones. La Cour lui donne une méthode : celle qui consiste à donner aux chefs d’établissement le pouvoir de choisir ses personnels, sur la base de leur volonté et leur adhésion au projet. Les enseignants volontaires postuleraient sur des « postes à profil particulier », échappant ainsi au mouvement national des mutations. Ce dispositif existe déjà, mais à la marge.
Professionnaliser la formation
Le rétablissement, en 2013, d’une année de formation en alternance est une « avancée incontestable », estime la Cour des comptes. Reste que « notre pays professionnalise ses enseignants tardivement [à partir du master], comparé aux autres grands pays développés », déplore-t-elle.
Quant à la formation continue, elle reste « peu développée » et surtout utilisée comme vecteur pour faire passer les réformes venues d’en haut plutôt que pour répondre aux besoins. L’inspection - en moyenne tous les 5 ans et qui sert à déterminer l’avancement de carrière -, n’est guère davantage propice à l’accompagnement des enseignants, pas plus que la gestion des ressources humaines, dont la Cour dénonce, une fois de plus, la « faiblesse ».