« Les activités éphémères contribuent à l’hospitalité des territoires »
« Les activités éphémères contribuent à l’hospitalité des territoires »
Propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout
Les villes accueillent de plus en plus de commerces éphémères, food trucks, pop-up stores et camions itinérants. L’urbaniste Pascale Leroi analyse le développement de cette nouvelle économie urbaine.
Un food truck dans un parc à Bordeaux, en septembre 2017 / REGIS DUVIGNAU / REUTERS
Food trucks, pop-up stores, galeries éphémères, camions itinérants, mobiliers urbains provisoires fleurissent de plus en plus dans les rues de nos villes. Cette économie éphémère échappe à toute analyse statistique. Mais sa visibilité croissante a conduit Pascale Leroi, économiste-urbaniste à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de l’Ile-de-France, à étudier ce nouvel univers, où se développent des activités marchandes et non marchandes, itinérantes ou provisoires.
L’économie éphémère est-elle vraiment un phénomène nouveau ? Les camions épiceries et bibliothèques itinérantes ont toujours existé, notamment dans les campagnes.
Camions épiceries sillonnant les campagnes, restaurants saisonniers de plage, marchés forains ont effectivement toujours eu leur place dans l’économie. Mais aujourd’hui, ce modèle est revisité. Il s’installe dans les villes, prend en compte les nouvelles exigences du consommateur et s’élargit à de nouveaux usages. Il répond à la demande des citoyens d’un quotidien urbain plus végétal, plus solidaire, plus participatif.
Le goût pour la street food et la diminution du temps pris pour la pause déjeuner sont favorables à la restauration rapide et à sa diversification. Les food trucks bénéficient de ce contexte et savent, pour la plupart, assurer une montée en gamme des produits. A côté de l’historique hamburger, comme Le Camion qui fume, pionnier en France, les propositions sont variées : cuisines étrangères, spécialisation sur les nouvelles aspirations alimentaires (bio, vegan, sans gluten)…
Les camions itinérants historiques se renouvellent également et surfent sur des tendances actuelles, comme la vente de seconde main entre particuliers (bus friperie), le bio et le local (livraison du producteur au consommateur), l’essor des services à la personne (livraison de repas, coiffure, toilettage pour chien, etc.), la réparation d’objets… On voit par exemple des cabanons de compostage collectif s’installer dans des parcs et jardins. Ou encore des services de réparation itinérants à proximité de gares ou stations de métro, qui proposent aux citadins combinant vélo et transports en commun de réparer leur vélo pendant leur journée de travail. L’objectif de ces itinérants est toujours de se rapprocher d’un client contraint par le temps ou dans ses déplacements. Et ce phénomène touche Paris et sa banlieue, comme les grandes agglomérations de province.
Qu’est-ce qui distingue les food trucks et autres triporteurs d’aujourd’hui du traditionnel marchand de glace sur la plage ?
Le numérique est incontestablement un vecteur de l’économie éphémère : les consommateurs commandent des repas à l’avance, réservent un service, consultent des tarifs, comparent… Le numérique permet aussi aux entrepreneurs de cette économie d’annoncer leur passage, de préciser leur concept, d’enregistrer des commandes, et ainsi de fidéliser leur clientèle. Ils sont très nombreux à avoir un site Web, un compte sur les réseaux sociaux. On voit même se développer des sites spécialisés dans l’annonce et la géolocalisation en temps réel des food trucks.
Le numérique est aussi indirectement l’un des moteurs de cette économie. Le développement de l’e-commerce a distendu le lien physique avec les clients. Les marques cherchent à renouer un lien direct et aller à la rencontre des clients, pour entretenir la demande, créer l’événement, ou tester des produits. De grandes marques de chaussures, de jeux vidéo s’installent ainsi dans des boutiques-containers éphémères, des pop-up stores, dans des lieux de forte fréquentation.
Quel est le modèle économique de ces petits commerces et services éphémères ?
La plupart des initiatives marchandes de l’économie éphémère sont le fait de micro-entreprises ou d’auto-entrepreneurs, et de start-up pour les plus innovantes. La tendance n’est sans doute pas totalement étrangère à la montée actuelle des emplois non salariés et au développement du statut d’auto-entrepreneurs.
Créer une activité de restauration ou de services dans un camion, un triporteur, ou dans une construction légère qu’il est possible de démonter ou de recycler, ou une construction détournée (containers), demande un investissement moins lourd qu’une installation sédentaire. Certaines de ces entreprises font au besoin appel au crowdfunding. Mais ces activités itinérantes ne sont pas faciles pour autant. Se bâtir une clientèle, respecter une hygiène rigoureuse est forcément plus compliqué. Beaucoup d’entrepreneurs mettent la clé sous la porte au bout d’un ou deux ans.
Cependant, l’installation dans un immobilier léger n’est pas forcément vécue comme transitoire. Nombre d’entrepreneurs aiment changer de lieux, de clientèle, être mobiles et indépendants. Certains perdurent sans même se reconvertir dans un immobilier lourd. Ce faisant, c’est aussi un moyen de s’installer pour expérimenter : l’éphémère peut aussi être un tremplin vers une activité pérenne. Ainsi, de plus en plus de restaurants ambulants et provisoires deviennent des restaurants fixes.
Le phénomène est-il soutenu, organisé par les villes ?
Les communes reçoivent de nombreuses demandes d’autorisations. Certaines peuvent être récalcitrantes et freinent le mouvement, craignant que la street food concurrence les activités sédentaires et entraîne des nuisances.
Pour s’installer sur l’espace public, il faut obtenir une autorisation temporaire d’occupation, laquelle donne lieu à une redevance qui se révèle très variable d’une ville à l’autre. Celle-ci peut aller de 20 à 200 euros, voire être calculée en pourcentage du chiffre d’affaires. Par exemple, les food trucks de la Défense reversent 8 % de leur chiffre de la journée.
Un certain nombre de villes se mettent à intégrer ce type de commerces et services dans leur réflexion sur la revitalisation de certains quartiers. Les activités éphémères contribuent à l’hospitalité des territoires. Dans les quartiers de bureaux aux immeubles monofonctionnels sans commerces au rez-de-chaussée, dans les zones excentrées, ces activités apportent des services, animent les lieux. L’économie éphémère offre aussi aux aménageurs l’occasion de tester des usages et des programmations, en centre-ville ou dans le cadre d’occupations temporaires de terrains urbains en transition. Ces micro-interventions rejoignent la même dynamique que les initiatives d’urbanisme transitoire.