En Catalogne, des centaines de milliers de personnes défilent contre l’indépendance

Une marée de drapeaux espagnols a envahi, dimanche 8 octobre les rues du centre de Barcelone, du jamais vu. D’habitude se sont plutôt les « esteladas » (les « étoilées ») le symbole des indépendantistes, qui colorent les grandes manifestations de la capitale catalane.

Sous le soleil resplendissant d’une belle journée d’automne, des centaines de milliers de personnes - 350 000 selon la police municipale, 900 000 selon les organisateurs - ont rempli les principales artères de la métropole pour manifester contre l’indépendance et le gouvernement de Carles Puigdemont.

Une semaine après le référendum d’autodétermination organisé par l’exécutif catalan le 1er octobre, celle que l’on appelle parfois la « majorité silencieuse » a voulu faire entendre sa voix en faveur de l’unité de l’Espagne. Aux cris de « l’Espagne unie ne sera jamais vaincu », « Vive la Catalogne », mais aussi « Puigdemont en prison », elle a demandé un « retour au bon sens », le slogan du rassemblement.

Celui-ci avait été convoqué par l’organisation anti-indépendantiste, Société civile catalane, soutenue par les conservateurs du Parti Populaire et les centristes de Ciudadanos. Les socialistes, sans y participer officiellement, ont appelé leurs militants à les rejoindre.

« La Catalogne n’est ni le Kosovo, ni l’Algérie »

Sur la tribune, les deux principaux intervenants, Mario Vargas Llosa, l’écrivain péruvien nationalisé espagnol, et Josep Borrell, l’ancien président du parlement européen et ancien ministre de Felipe Gonzalez ont eu des paroles très dures envers les indépendantistes qui « veulent réduire la Catalogne à un pays du Tiers-monde » a notamment déclaré M. Vargas Llosa.

« La Catalogne n’est ni le Kosovo, ni la Lituanie, ni l’Algérie, a renchéri M. Borrell. La Catalogne n’est pas une colonie. » Et d’ajouter « aucune multitude n’est au-dessus de la loi ».

Dans la rue, les manifestants ont avant tout appelé au dialogue. Arturo Sanchez Rodriguez a 71 ans. Il se définit encore comme andalou « mais en fait je suis catalan car ça fait 50 ans que je vis ici, mes enfants, mes petits-enfants sont catalans, mes parents sont enterrés ici », raconte-t-il ému. C’est sa première manifestation. Il est venu avec son épouse, Maria, de Santa Coloma de Gramenet, une petite municipalité au sud de Barcelone. Ils arborent des pancartes où l’on peut lire « pau » (« paix » en catalan).

« Il faut trouver un terrain d’entente, on ne peut pas continuer comme ça », dit Arturo. Il accuse les indépendantistes d’avoir créé une « réalité parallèle. »

« On vit bien en Catalogne, mieux que dans beaucoup d’autres régions espagnoles. J’ai une bonne retraite, mes deux enfants ont des bons boulots, je ne sais pas de quoi se plaignent les indépendantistes. L’Espagne a des problèmes mais ce sont les mêmes pour tout le monde. La crise économique a joué un grand rôle, on a tout mélangé. »

Sara Costa est une « une Catalane de souche, mariée à un indépendantiste », dit-elle en riant. Elle travaille pour une multinationale, c’est aussi sa première manifestation. « Cette crise a été très mal gérée de part et d’autre. Mariano Rajoy [le premier ministre espagnol] aurait dû proposer une solution politique et Carles Puigdemont aurait dû chercher une solution intermédiaire ».

Un accord négocié, assure-t-elle « qui donnerait un peu plus de pouvoirs aux Catalans, même mon mari l’accepterait ! Ainsi que de nombreux indépendantistes ». Mme Costa voudrait de nouvelles élections « pour que l’on puisse s’exprimer de manière véritablement démocratique ».

« Nous osons nous exprimer »

Alba Osete est née à Barcelone. Elle se sent « aussi Catalane qu’Espagnole ». La manifestation pour elle est « un tournant très important car nous osons finalement nous exprimer ». Elle porte un drapeau espagnol « car je me sens épaulée par la foule. Toute seule, dans les rues de Barcelone, je n’aurais jamais osé. Maintenant je sais que nous ne sommes pas seuls ».

Pedro Martinez est fonctionnaire. Il estime que toute décision sur la Catalogne doit être prise par l’ensemble des Espagnols, car cela concerne tout le pays. « Nous sommes 46 millions, on doit aussi prendre en compte notre opinion ». Quelle solution propose-t-il ? « Je n’ai pas de préférence, un dialogue, une éventuelle négociation qui pourrait améliorer les relations entre Madrid et Barcelone mais dans le cadre de l’unité de l’Espagne ».

Il y a deux jours, il a changé de banque. Il avait un compte à la Caixa, la grande banque catalane qui a annoncé vendredi 6 octobre qu’elle transférait son siège social a Valence, et il est passé à la BBVA.

« Les indépendantistes disent qu’ils se sentent opprimés mais c’est nous les opprimés, ceux qui pensons différemment », affirme Carmen Pozas, « car on nous insulte quand on dit que l’on veut rester en Espagne ». Elle est femme de ménage et vit à Barcelone.

La solution, affirme-t-elle « passe par l’article 155 de la Constitution » souvent évoqué par le gouvernement de Mariano Rajoy et qui permettrait à Madrid de prendre le contrôle de la Catalogne. « Ça fait longtemps que l’on aurait dû s’en servir », lance-t-elle.

Antonio Santamaría est très préoccupé. Il a une petite entreprise de matériel de sport. Lundi il a un rendez-vous dans une banque de Vinaroz, une petite ville de la région de Valence, tout près de la Catalogne, pour ouvrir un compte « car on se sait jamais ». Il pense que la société catalane est très fracturée.

« Dans les réunions de famille ça fait longtemps qu’on ne parle plus de l’indépendance pour éviter de se fâcher. On parle du temps, de foot. Je crois que les divisions sont très profondes et que l’on va mettre une génération à s’en remettre. »