« Il faut permettre aux Etats qui veulent et peuvent renforcer leur degré d’intégration de le faire sans attendre les autres » (Photo: Emmanuel Macron quittant la Chancellerie après un entretien avec Angela Merkel à Berlin, le 16 mars 2017). | Fabrizio Bensch / REUTERS

L’Union européenne (UE) se trouve dans une situation que Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a décrite comme étant une polycrise. Un double débat sur une différenciation accrue et une concentration des domaines d’intervention de l’UE est crucial pour l’avenir de la construction européenne, le maintien de sa cohésion et sa capacité à faire face à une série de défis : les incertitudes géopolitiques provenant de Moscou et de Washington, les problèmes de terrorisme et de radicalisation, les mutations et ruptures technologiques ou encore la transition énergétique.

Notre groupe de réflexion pense que poursuivre en même temps les trois objectifs d’élargissement de l’UE, d’approfondissement du niveau d’intégration et de sauvegarde de l’homogénéité d’intégration pour tous les Etats membres, n’est plus tenable à vingt-huit et bientôt vingt-sept. L’Allemagne et la France ont un rôle majeur de force de proposition créatrice à jouer.

Il faut permettre aux Etats qui veulent et peuvent renforcer leur degré d’intégration de le faire sans attendre les autres. Si le processus reste ouvert aux autres Etats qui veulent activement participer, le leadership franco-allemand ne sera pas contesté. Il faut envisager la différenciation en priorité à l’intérieur des traités en utilisant au maximum les procédures existantes : coopérations renforcées, coopération permanente structurée dans le domaine de la PESC/PESD (Politique étrangère et de sécurité commune/Politique étrangère de sécurité et de défense).

Des dangers

Toutefois, si un certain nombre d’Etats veut bloquer une telle démarche de coopération renforcée ou structurée d’un sous-ensemble de l’UE, il ne faut pas hésiter à recourir à des accords ou à des traités ad hoc à l’extérieur du cadre de l’UE.

Deuxièmement, il faut réduire le niveau des intégrations dans des domaines d’action où la plus-value de l’UE est faible, voire inexistante. C’est l’utilisation enfin réelle du principe de subsidiarité introduit par le traité de Maastricht mais qui a toujours eu du mal à trouver son fonctionnement en pratique, malgré les efforts de la Commission Juncker de réduire les domaines d’intervention de l’UE. A traités constants, le degré d’intervention de l’UE dans les politiques publiques doit être encore réduit, le nombre de propositions nouvelles limité et certains règlements et directives abrogés.

Notre groupe est conscient que l’accroissement de la différenciation fonctionnelle et géographique compte un certain nombre de dangers : celui de libérer des forces centrifuges, de complexifier les groupes d’Etats et les cadres institutionnels de gouvernance rendus moins lisibles aux yeux des citoyens, et enfin de renforcer une perception de domination des grands Etats membres par les petits Etats membres.

« Force de cohésion »

Pour garantir la cohésion du nouvel ensemble différencié, il paraît essentiel que la France et l’Allemagne assument pleinement leur rôle de « force de cohésion » en étant à la tête de trois domaines d’action fonctionnels : premièrement l’eurozone, deuxièmement la sécurité et la défense militaire, troisièmement la libre circulation des personnes, y compris les mesures de gestion commune des réfugiés et de surveillance des frontières.

Il faut donc abandonner l’illusion que tous les Etats membres pourront trouver à terme un niveau d’intégration homogène. De même faut-il abandonner le paradigme d’une UE poursuivant le chemin d’intégration dans des domaines d’action toujours plus nombreux.

Un tel schéma n’est possible que si le nouveau président français, proeuropéen, Emmanuel Macron et la nouvelle majorité parlementaire issue des élections de juin 2017, ainsi que le Chancelier fédéral issu des élections de septembre 2017, l’assument et l’initient ensemble. Si un tel schéma ne voit pas le jour à l’issue des élections française et allemande, l’UE est condamnée au statu quo, ou pire à la régression.

Les signataires: le groupe de réflexion franco-allemand Institut français des relations internationales (IFRI)/Genshagen, constitué à l’automne 2014, réunit 20 représentants français et allemands soucieux d’apporter une contribution constructive, en France et en Allemagne, au débat européen: Eric Bonse, journaliste indépendant, Bruxelles ; Jörn Bousselmi, directeur général, Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie, Paris ; Henri de Bresson, journaliste, ancien chef-adjoint du service France-Europe du Monde, ancien rédacteur en chef de ParisBerlin ; Céline Caro, Senior Policy Analyst, Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS), Washington ; Claire Demesmay, directrice du programme France/relations franco-allemandes, Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP) ; Christian Deubner, conseiller indépendant pour les questions européennes et les relations franco-allemandes, Berlin ; Michel Drain, chercheur associé au Comité d’études des relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales (Cerfa/IFRI) ; Etienne François, professeur émérite d’histoire à la FU Berlin et à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, président du conseil consultatif de la Fondation Genshagen ; Hans-Dieter Heumann, membre du comité de direction, Center for International Security and Governance (CISG) de l’université de Bonn, ancien président de l’Académie fédérale pour la politique de sécurité (Bundesakademie für Sicherheitspolitik), Bonn/Berlin ; Ronja Kempin, Senior Fellow, groupe de recherche UE/Europe, Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP); Martin Koopmann, directeur exécutif, directeur du Dialogue européen, Fondation Genshagen ; Barbara Kunz, chercheuse au Cerfa/IFRI ; Rémi Lallement, chef de projet, département Economie, France Stratégie, services du premier ministre, Paris ; Christian Lequesne, professeur et directeur de recherche au Centre de recherches internationales (CERI), Sciences Po ; Michel Marlière, entrepreneur, projet TerraEuropa, Köln/Berlin ; Stephan Martens, professeur de civilisation allemande à l’université de Cergy-Pontoise, ancien recteur de l’académie de Guadeloupe ; Christine de Mazières, conseillère référendaire à la Cour des Comptes ; Jochen Möller, Planungsstab, Auswärtiges Amt, Berlin ; Vincent Muller, consul général, consulat général de France à Düsseldorf ; Sabine von Oppeln, conseillère académique, Otto-Suhr-Institut für Politikwissenschaft, Freie Universität Berlin ; Joachim Schild, professeur de sciences politiques et de politique comparée à l‘université de Trèves ; Daniela Schwarzer, directrice de recherche senior et directrice du programme Europe, German Marshall Fund of the United States (GMF) ; Hans Stark, secrétaire général du Cerfa/IFRI, professeur de civilisation allemande contemporaine à l’université Paris-Sorbonne et Daniel Vernet, journaliste, ancien directeur de la rédaction du Monde.