Pourquoi Thomas Piketty à tort de fustiger la suppression de l’ISF
Pourquoi Thomas Piketty à tort de fustiger la suppression de l’ISF
Par Cyril Zimmermann (président de l’ACSEL, le hub de la transformation digitale et PDG de AdUX), Gaël Duval (PDG de JeChange.fr et de La French Touch ...
Dans une tribune au « Monde », quatre entrepreneurs répondent à la chronique de l’économiste, publiée dans le quotidien daté 8-9 octobre. Ils jugent que sa position relève davantage du militantisme que de la science économique.
L'économiste Thomas Piketty. / GOBIERNO DE CHILE / CC
Tribune. De grandes déclarations, des titres chocs, des sentences définitives ! Notre paysage médiatique est saturé de ces torpilles lancées les uns contre les autres. Les nouveaux artilleurs sont ceux qu’il y a vingt ans nous appelions les experts. Mais à l’heure de la chasse aux « fake news », ne devrait-on pas aussi revisiter le statut de ces « experts un jour, experts toujours » ? Telles des rock stars créditées d’un tube historique, nos experts de la fin du XXe siècle ont acquis un droit à la parole quasi perpétuel. Pourtant, tels de vieux rockers sur le retour, ils oublient parfois de travailler un peu leurs textes, reprennent de vieilles mélodies et se laissent aller… au commentaire.
L’abus de commentaires serait-il le nouveau mal français qui touche nos experts et nos scientifiques ? Les victimes de l’épidémie délaissent la publication d’études scientifiques, la synthèse de documents de travail pour s’adonner au rebond rapide sur l’actualité. Elles sortent de leur zone de compétence et s’installent dans des positions idéologiques où elles découvrent les joies du « pitch médiatique » : rapide et percutant. Elles apprennent à vivre avec des approximations qui jadis les choquaient et se contorsionnent dans des postures politiques qu’elles tentent de soutenir en rappelant l’habit scientifique qui fut un jour le leur.
Dans Le Monde (8 octobre 2017), Thomas Piketty nous donne une grande leçon de commentaire. Des considérations très générales sur les désirs des peuples et des prédictions électorales à 3 ans ouvrent le bal. Suit un rapide amalgame entre la demande d’égalité et le désir irrépressible d’ISF, et une invocation des grands épouvantails thatchériens et reaganiens. Ceci pour introduire la considération étonnante que le capital est avant tout un attribut de certaines catégories de personnes (notamment les personnes âgées et les héritiers) en omettant de rappeler qu’il est le moteur de l’investissement, de la croissance et de la création d’emploi.
Rien lu de scientifique
La ballade se poursuit en piétinant le principe de non-affectation des recettes fiscales pour mieux faire croire que les universités sont privées de 5 milliards d’euros de dotation budgétaire. Nous sommes arrivés à la moitié de l’article, nous n’avons rien lu de scientifique ou d’étayé mais le pitch est clair : la suppression de l’ISF favorise les nantis, elle a trente ans de retard sur l’époque et hypothèque le futur. Nous aurions pu nous arrêter là, mais pour donner un peu d’autorité au commentaire, arrivent enfin quelques données économiques sur l’accroissement des inégalités patrimoniales au cours des trente-cinq dernières années. Comme les inégalités augmentent, on ne peut pas toucher à l’ISF. C.Q.F.D.
L’accroissement des inégalités patrimoniales, documenté par les travaux passés de Thomas Piketty et le site wid.world, est assez largement admis. Mais rien ne montre qu’il y a un lien direct avec l’ISF tel qu’il est ou l’IFI tel qu’il sera. A la lecture des données statistiques, on pourrait même dire que l’ISF a échoué à corriger les inégalités. Mais cela serait inutilement provocateur.
Simple commentateur
Il serait plus utile de rappeler que l’appréciation des actifs financiers à la source du creusement des écarts de patrimoine a été un phénomène mondial lié à la libération des marchés financiers – c’est donc sans doute à traiter différemment –, que la fiscalité du patrimoine en France (ISF et droits de succession surtout) est la plus élevée au monde et représente 6,2 % du PIB, d’expliquer en détail ce qu’est l’IFI et où il existe déjà, de rappeler les chiffres estimés sur la fuite des capitaux plutôt que de la nier purement et simplement, de mesurer les investissements perdus et les emplois qui n’ont pas été créés.
Nous aurions pu ainsi comparer l’intensité du désir d’égalité à la volonté de créer des emplois. Mais non ! Le 8 octobre 2017, Thomas Piketty est dans la peau d’un simple commentateur, il n’est pas économiste. On ne peut donc pas débattre avec lui. On peut juste se demander pourquoi il est écouté, et pourquoi dans notre pays nous préférons parfois le commentaire à la science ou à l’action.