Aaron Levie veut rendre le nuage « intelligent »
Aaron Levie veut rendre le nuage « intelligent »
Propos recueillis par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)
A 31 ans, le PDG de Box, la compagnie de stockage de données sur le « cloud » valorisée à 2,5 milliards de dollars, a passé un accord avec Google pour introduire de l’intelligence articielle dans ses logiciels.
Aaron Levie, en mai 2015. / Noam Galai / AFP
Aaron Levie est l’un des jeunes patrons très en vue de la « tech américaine ». Son entreprise, Box, est spécialisée dans le partage sécurisé de données sur le « cloud ». M. Levie vient de franchir une nouvelle étape dans le développement de sa société en signant un partenariat avec Google pour introduire de l’intelligence artificielle dans ses logiciels.
Box a été parmi les premiers à se lancer dans le partage sécurisé de documents sur le « nuage » en 2005. Comment évolue le secteur du « cloud computing » ?
Dans les années 1990, la technologie existait, mais le stockage était tellement cher et l’Internet tellement lent que personne ne l’utilisait. Pendant la bulle « dot.com », ces compagnies ont disparu. Il a fallu cinq ans pour que l’idée revienne ; c’est à ce moment-là que nous avons fondé Box. La grande idée était de pouvoir travailler sur n’importe quel équipement et d’avoir accès à toutes ses informations grâce à l’Internet. En douze ans, on a vu une croissance extraordinaire dans la demande pour le « cloud computing ». Amazon Web Services, Microsoft et IBM se sont lancés dans le stockage des données. Nous avons pu profiter de cette vague. Aujourd’hui, nous fournissons à 76 000 clients et 65 % des entreprises du classement Fortune 500 une plate-forme qui leur permet de gérer, contrôler et sécuriser leurs informations sur le « cloud ». Elles sont confrontées à une multiplication des cyber-menaces et des réglementations sur la géolocalisation ou la vie privée, notamment en Europe. Nous pensons que le nuage est la solution.
Et vous voulez rendre le nuage « intelligent » ?
La dématérialisation a été l’une des plus grandes évolutions jamais enregistrées dans la technologie d’entreprise. L’intelligence artificielle et le « machine learning » vont introduire un changement encore plus grand. Les innovations introduites dans nos vies personnelles – Siri, Alexa, les voitures autonomes, les recommandations personnalisées d’Amazon – ne constituent que le début de l’ère du « machine learning ». Quand l’intelligence artificielle va se développer dans l’entreprise, toutes les industries vont être affectées. Certaines relativement peu, mais d’autres d’une manière gigantesque dans le secteur de la santé, des services financiers, de l’éducation.
Dans l’imagerie médicale, par exemple, on pourra détecter instantanément les anomalies et fournir des recommandations basées sur les informations recueillies. La technologie permettra d’établir des corrélations entre toutes les données, alors que les humains ne peuvent se reposer que sur ce que leur mémoire ou leur jugement sont capables de produire.
Au risque de détruire des millions d’emplois ?
Je pense que c’est l’inverse qui va se produire. Cela va rendre les gens plus productifs. Le service client deviendra beaucoup plus efficace. Le coût des services diminuera ; les compagnies pourront recruter plus de gens pour assurer ces services. C’est un cercle vertueux. Prenons le secteur de la santé, par exemple, qui coûte très cher aux Etats-Unis : si on peut réduire ce coût et améliorer les performances du corps médical, on verra en fait un accroissement de la demande de services, ce qui se traduira par une augmentation du nombre d’emplois.
Le 11 octobre, vous avez lancé Box Skills, un service qui utilisera l’intelligence artificielle dans le stockage.
L’idée est d’appliquer l’intelligence artificielle aux informations non structurées qui sont stockées sur le nuage. On voit qu’il y a maintenant énormément de nouveaux contenus numériques. Pourquoi ne pas utiliser les innovations de Google, Microsoft et IBM en matière de « machine learning » pour que les clients puissent construire leurs propres fonctionnalités ? Un exemple. Vous êtes dans l’équipe marketing d’un fabriquant d’équipements de sport. Pour vos publicités, vous avez des milliers d’images à votre disposition. Notre nouvel outil va permettre de taguer automatiquement ce qu’il voit dans les images : une raquette de tennis, par exemple. Vous allez pouvoir obtenir directement toutes les images avec des raquettes sans avoir eu besoin de les étiqueter. Même chose pour les vidéos. Là, il y aura aussi la reconnaissance faciale, et la transcription des conversations. Nous travaillons avec IBM Watson pour l’audio. On pourra aussi extraire des informations contenues dans les contrats par exemple.
L’Union européenne a donné aux compagnies jusqu’à fin mai 2018 pour appliquer son nouveau règlement sur la protection des données personnelles (GDPR). Etes-vous prêts ?
Absolument. Cela a été un effort massif, mais nous avions anticipé.
Comprenez-vous les inquiétudes des Européens ?
Je suis partagé. Nous avons besoin de voir les gouvernements créer ce type de réglementations pour assurer un plus grand respect de la vie privée et un meilleur contrôle par chacun des données qui le concernent. Mais, parfois, les régulateurs se focalisent sur des points mineurs, ce qui finit par demander 10 fois plus de travail pour un dixième de la valeur !
Pensez-vous que les citoyens ont le droit de contester les décisions prises sur la base de processus par algorithmes ?
Il revient aux consommateurs de dire qu’ils n’aiment pas la manière dont les informations sont personnalisées ou de se plaindre des biais sur tel ou tel contenu. Au-delà, il faut une vraie conversation sur les algorithmes et le « machine learning » ainsi que sur la manière dont on pourrait potentiellement les réglementer. Nous sommes dans un environnement sans précédent où on voit des compagnies-plateformes formater les informations que nous recevons.
Justement, on parle beaucoup des responsabilités de la Silicon Valley dans l’élection de Donald Trump. Quel est votre sentiment ?
J’ai plus de problèmes avec la culture aux Etats-Unis, qui a permis une telle élection, qu’avec les publicités russes dans le fil d’actualité de Facebook. Bien sur, les informations que nous recevons y ont contribué, mais il y a des questions plus fondamentales qui touchent à l’état de la société américaine. On peut s’interroger sur le rôle des chaînes câblées. Donner aux meetings de Trump une couverture dix fois plus importante que celle allouée à son adversaire a probablement eu plus d’impact que le « machine learning » de Facebook.