Brigitte Bauer. « Marseille 34 (850-02) ».  Mission photographique Euroméditerranée. Série « Marseille », 2002. / COLLECTION DE L’ARTISTE, ARLES

Ah ! la France éternelle, son petit clocher dominant un village entouré de vertes collines… Ce paysage rassurant et immuable, mythologie inscrite dans le roman national depuis la IIIRépublique, figurait encore sur l’affiche électorale de François Mitterrand en 1981. C’est pourtant sous son mandat que l’Etat décide d’en finir avec ce cliché, et d’interroger le paysage français grâce à la photographie. En 1984, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) a lancé une Mission photographique sans précédent, devenue depuis mythique : pendant quatre ans, 29 photographes ont arpenté chacun un morceau du territoire national, pour en capter les caractéristiques, mais surtout pour y exercer leur regard d’artiste, sans idée de promotion ou d’inventaire. Robert Doisneau s’est ainsi essayé à la couleur dans les banlieues, Sophie Ristelhueber a confronté les traces dues à l’homme et celles laissées par la nature…

Quelque part en France

Cette aventure collective, dont le résultat n’avait pas été exposé dans sa totalité depuis les années 1980, est le point de départ d’une exposition monumentale à la Bibliothèque nationale de France. « Paysages français. Une aventure photographique, 1984-2017 » présente plus de 1 000 photos, réalisées par 167 photographes, et se penche sur les initiatives qui, depuis celle de la Datar, ont tenté de mettre en images les paysages français. Lesquels ont été traversés par des questions intenses et nouvelles : mondialisation et construction européenne, souci environnemental, crise des banlieues, développement urbain et périurbain, désertification des zones rurales…

« Ces projets sont le reflet de leur époque. Ils témoignent de la place de l’Etat dans la culture, de l’inscription de la photographie dans l’art contemporain… » Raphaële Bertho, commissaire de l’exposition

C’est ainsi qu’on voit Anne Favret et Patrick Manez, en 1997, montrer le bâti ancien grignoté par les nouvelles constructions dans la ville de Montreuil-sous-Bois (93). Patrick Tourneboeuf, dans « Nulle part », recense la triste uniformité des architectures balnéaires… Les nouvelles « missions » ont beaucoup pris la forme de commandes publiques, mais aussi plus récemment d’initiatives privées, collaboratives, participatives, comme La France vue d’ici, lancée par l’association CéTàVoir et le site Mediapart et financée par une campagne sur Internet. « Ce qui m’intéresse, c’est que ces projets sont le reflet de leur époque, raconte Raphaële Bertho, commissaire de l’exposition avec Héloïse Conesa. Ils témoignent de la place plus ou moins grande de l’Etat dans la culture, de l’inscription progressive de la photographie dans l’art contemporain, de l’engagement citoyen dans le débat public… »

Un territoire mouvant, fluctuant

Les images qui défilent racontent aussi les changements dans la manière d’aborder la notion de paysage. Qu’est-ce qui rend un lieu notable, photographiable ? L’ordinaire et le banal sont réhabilités, aux dépens du sublime et de l’exceptionnel. France(s) territoire liquide, l’une des récentes initiatives privées, qui a regroupé 43 photographes, dit bien dans son intitulé l’incapacité à cerner l’identité d’une nation et de figer un territoire devenu mouvant, fluctuant, indéfini.

A partir des années 2000, le paysage ne s’envisage plus comme un spectacle auquel le photographe peut assister en observateur, mais comme un lieu avec lequel il interagit. Elina Brotherus met en scène son corps dans la campagne près de Chalon-sur-Saône, où elle habite. Patrick Messina photographie ses enfants sur les lieux, sans qu’on sache s’ils sont modèles, personnages, spectateurs. « On passe de la description à l’inscription dans le paysage », résume Raphaële Bertho. Un changement de point de vue qui donne lieu à une grande diversité d’œuvres, et qui, parfois, laisse aussi de la place à la fiction.

« Paysages français. Une aventure photographique, 1984-2017 », Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, quai François-Mauriac, Paris 13e. Du 24 octobre 2017 au 4 février 2018, « Paysages français. Une aventure photographique, 1984-2017 », (Éditions de la BnF. 304 p., 49,90 €.)