Une loi sur les violences sexuelles et le harcèlement de rue annoncée pour 2018
Une loi sur les violences sexuelles et le harcèlement de rue annoncée pour 2018
Par Gaëlle Dupont
La secrétaire d’Etat Marlène Schiappa a dévoilé les contours d’un projet de loi qui devrait voir le jour au premier semestre 2018 après une consultation citoyenne.
Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. / BERTRAND GUAY / AFP
Alors que la mise en cause du producteur américain Harvey Weinstein pour harcèlement sexuel continue à faire réagir des victimes célèbres ou anonymes de tels agissements, l’annonce du gouvernement ne pouvait mieux tomber. La secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa annonce dans La Croix du 16 octobre « un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles afin d’abaisser le seuil de tolérance de la société », qui s’attaque en particulier aux actes commis sur les mineurs et au harcèlement de rue.
Le texte, porté conjointement avec la garde des Sceaux Nicole Belloubet, sera présenté au premier semestre 2018, après une vaste concertation avec les acteurs du secteur (policiers, magistrats) et une consultation citoyenne dans le cadre du tour de France de l’égalité lancé début octobre. Si les grandes directions sont décidées, les détails de leur mise en œuvre ne sont donc pas encore arrêtés. Mme Schiappa affirme en outre rester ouverte à « toute question qui émergera des discussions ».
Définir un âge pour le consentement des mineurs
Premier axe déjà défini : la lutte contre les agressions sexuelles et viols commis sur les mineurs. « Nous devons inscrire clairement dans la loi qu’en deçà d’un certain âge – qui reste à définir – il n’y a pas de débat sur le fait de savoir si l’enfant est ou non consentant », affirme la secrétaire d’Etat. Cette prise de position intervient après la décision très controversée du parquet de Pontoise de poursuivre pour atteinte sexuelle (cinq ans de prison maximum) et non pour viol (passible de vingt ans) un homme de 28 ans ayant eu des relations sexuelles avec une enfant de 11 ans. L’auteur des faits n’ayant pas utilisé de menace ou de contrainte, le parquet a considéré que la petite fille était implicitement consentante.
Cette interprétation a suscité un tollé parmi les associations féministes et de protection de l’enfance, qui estiment que l’écart d’âge entre un majeur et un mineur implique forcément une contrainte morale, et que leur jeune âge empêche les enfants de consentir de façon éclairée. Le sujet apparaît plutôt consensuel. Quatre parlementaires de toutes tendances politiques ont récemment déposé des propositions de loi allant dans ce sens. L’Union syndicale des magistrats (majoritaire) y est favorable. Toutefois, la détermination de la limite d’âge pourrait faire débat. Faut-il fixer le seuil à 15 ans, comme le souhaite l’ancienne ministre (PS) de la famille Laurence Rossignol dans son texte, déposé vendredi 13 octobre ? Ou plus bas, à 13 ans, comme le préconise le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Allonger les délais de prescription des crimes sexuels
Deuxième chantier ouvert, qui devrait être plus contesté, celui de la prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs de moins de 15 ans. Elle est aujourd’hui de vingt ans après la majorité de la victime, qui a donc jusqu’à ses 38 ans pour porter plainte. Marlène Schiappa souhaite ouvrir un débat sur l’allongement à trente ans à compter de la majorité, auquel elle serait favorable à titre personnel. C’était la préconisation formulée en avril par la mission de consensus pilotée l’animatrice de télévision Flavie Flament et l’ancien magistrat Jacques Calmettes, chargée par Laurence Rossignol de faire des propositions sur ce sujet.
C’est une nouvelle fois un fait divers qui avait poussé les autorités à lancer cette mission. En octobre 2016, Flavie Flament relatait dans un livre, La Consolation (JC Lattès), avoir été violée à l’âge de 13 ans par un photographe de renom. David Hamilton, dont l’identité a fini par être révélée, s’est suicidé le 25 novembre. Flavie Flament n’a pas porté plainte, car, au moment où elle a révélé les faits, elle avait 42 ans.
De nombreuses associations réclament un allongement du délai de prescription, voire l’imprescriptibilité. « Ces crimes sont commis sur des enfants, le plus souvent par des proches, dans un climat d’emprise, expliquait en janvier au Monde Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie. La victime est en état de sidération et met en place des mécanismes psychologiques de sauvegarde. Il faut être beaucoup plus âgé, plus solide, pour réveiller ces souvenirs. » L’imprescriptibilité, réservée aux crimes contre l’humanité, est écartée par Mme Schiappa. « Elle ne passerait sans doute pas le filtre du Conseil constitutionnel », estime la secrétaire d’Etat.
Cependant, les magistrats estiment que la prescription actuelle est adaptée. Pour condamner des auteurs, des preuves sont nécessaires. Or, ces dernières se raréfient avec le passage du temps. Ils estiment que permettre de porter plainte quarante ou cinquante ans après les faits pourrait donner de faux espoirs aux victimes.
Sanctionner le harcèlement de rue
Le dernier axe de la future loi est déjà connu : le gouvernement souhaite sanctionner le harcèlement de rue. Il s’agit d’actes isolés, qui vont du commentaire non souhaité sur l’apparence physique, en passant par les sifflets, les regards appuyés, ou le fait de suivre une femme jusqu’à chez elle. Exercés par une multitude d’auteurs, ils peuvent avoir un impact négatif important sur le quotidien, notamment dans les transports en commun, et contraindre certaines femmes à modifier leur tenue, leur itinéraire, leur horaire de sortie… Reste à caractériser l’infraction. « Je pense, à titre personnel, que siffler une femme dans la rue ne relève pas du harcèlement, mais que c’est le cas lorsqu’on la suit dans le métro, estime Mme Schiappa. Dans ce cas le stress, voire l’intimidation, sont évidents. »
Faire constater l’infraction par les forces de l’ordre ne sera pas simple, puisqu’elles ne peuvent être présentes derrière chaque mis en cause. Cependant, le gouvernement vise un effet pédagogique : même si seulement quelques procès-verbaux sont dressés, le grand public serait informé que de tels comportements sont répréhensibles. Dans une tribune publiée par Libération le 26 septembre, plusieurs chercheurs, dont le sociologue Eric Fassin, reprochaient à cette potentielle nouvelle infraction de viser « les jeunes hommes des classes populaires et racisées [victimes de racisme, qui] subissent déjà, plus que d’autres, le contrôle policier et les violences des forces de l’ordre », écrivaient-ils. « Ce n’est pas le sujet, répond Mme Schiappa. L’origine ne doit être ni un facteur aggravant ni une circonstance atténuante. »