TV – « Le Roundup face à ses juges » : un réquisitoire accablant contre Monsanto
TV - « Le Roundup face à ses juges » : un réquisitoire accablant contre Monsanto
Par Rémi Barroux
Déjà auteur de documentaires sur la firme américaine, Marie-Monique Robin aborde avec pédagogie les ravages provoqués par l’herbicide (mardi 17 octobre sur Arte à 20h50).
Le Roundup face à ses juges - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31
C’est un crime contre l’humanité qui fait moins de bruit qu’un conflit militaire ou qu’une attaque terroriste. Le poison, ici, passe par la terre, le végétal, l’eau et atteint les êtres vivants silencieusement. Qui plus est, le répandre est la plupart du temps toléré, voire encouragé. Cet agent mortel, c’est le glyphosate, la molécule active d’un puissant herbicide, le Roundup, commercialisé par Monsanto et le plus vendu au monde.
Du 14 au 16 octobre 2016, s’est tenu à La Haye (Pays-Bas) le procès de la firme américaine Monsanto, un procès citoyen consultatif conduit par cinq magistrats professionnels, sous la présidence de Françoise Tulkens, ex-juge à la Cour européenne des droits de l’homme. Et c’est à partir de ce procès hautement symbolique que la réalisatrice Marie-Monique Robin a filmé une nouvelle charge contre la firme Monsanto.
Diffusé sur Arte un an après le procès de La Haye, Le Roundup face à ses juges fait suite à plusieurs documentaires de la journaliste d’investigation, qui a reçu le prix Albert Londres en 1995 : Le Monde selon Monsanto (film et livre en 2008), Notre poison quotidien (film et livre en 2011), d’après l’affaire de Paul François, le céréalier français qui s’est opposé à Monsanto.
Le monde selon Monsanto (Bande-annonce)
Durée : 03:19
Le propos est donc engagé et les premières images ne laissent pas place au doute. Dans les rues de New York, des manifestants crient leur colère face au géant américain, « symbole d’un modèle agro-industriel qui menace la santé des êtres vivants et l’intégrité des écosystèmes ». Mais Marie-Monique Robin évite l’écueil d’une démarche militante trop marquée. De même que le procès se voulait pédagogique, le film montre, explique, décortique. Du Sri Lanka à l’Argentine, des Etats-Unis à la Norvège, en passant par la France, le téléspectateur est emmené à la rencontre des victimes de l’herbicide. Les images sont sobres, simples mais implacables.
Ravages immenses
A l’arrivée, les témoignages des victimes, livrés dans la grande salle du tribunal citoyen de La Haye ou confiés dans l’intimité de leurs fermes ou demeures, dressent un réquisitoire accablant. Malformations des enfants, cancers, maladies respiratoires ou rénales, destructions environnementales, décès prématurés et longtemps inexpliqués : les ravages du Roundup et des génériques employés comme herbicides et déversés par centaines de milliers de tonnes chaque année sur la planète sont immenses.
La séquence dans laquelle Marie-Monique Robin nous permet de suivre l’enquête sanitaire menée dans la ville argentine de Basavilbaso par des dizaines d’étudiants et de professionnels de santé est incroyablement efficace. Les habitants témoignent les uns après les autres des dégâts et les mots claquent : « modèle assassin », « génocide silencieux »…
La démonstration est bienvenue, alors que la Commission européenne doit décider, le 25 octobre, de renouveler ou non la licence du glyphosate, classé « non cancérogène » par l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, alors qu’il a été déclaré, en mars 2015, « probablement cancérogène » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), et reconnu comme tel par des études scientifiques secrètes commanditées par Monsanto.
La bataille fait rage entre les pays favorables à l’autorisation et ceux qui s’y opposent, tels la France, l’Autriche et l’Italie, sur fond de lobbying actif. Une majorité qualifiée est nécessaire pour valider ou infirmer la proposition de la Commission de prolonger pour dix ans l’autorisation, soit seize Etats sur vingt-huit représentant au moins 65 % de la population de l’Union européenne.
Épandage de Roundup sur un champ de soja transgénique en Argentine en 2016 / © M2R Films
Loin des tractations bruxelloises, les victimes de Monsanto montrent, elles, les dégâts qu’ont engendrés des expositions répétées aux herbicides. Aux dégâts physiques, aux handicaps à vie, s’ajoute la colère face au déni de la marque, aux expertises mensongères et grassement rétribuées qui sont opposées aux victimes. « La toxicité aiguë du glyphosate est très nettement moins élevée que celle de produits courants comme la caféine ou le sel », indique un argumentaire (« Coupons l’herbe sous le pied à quelques idées reçues ») présenté sur le site de Monsanto et filmé par Marie-Monique Robin.
Le 18 avril, le Tribunal international Monsanto livrait ses conclusions : « Monsanto n’agit pas en conformité avec les droits humains fondamentaux. » La firme américaine spécialisée dans les biotechnologies agricoles se livre à des pratiques « qui ont de graves répercussions sur l’environnement », ont estimé les juges, après avoir entendu des dizaines de témoignages et compulsé de nombreuses expertises.
Ce qui n’est donc pas un jugement mais un avis devrait permettre, espèrent les organisateurs du procès de La Haye, d’asseoir le nouveau crime d’écocide et d’aider les Etats à mieux faire respecter les droits fondamentaux que sont la santé, l’alimentation et l’accès à une information indépendante. Le téléspectateur, lui, grâce à l’excellent travail de Marie-Monique Robin, a 90 minutes pour se faire son jugement.
Le Roundup face à ses juges, de Marie-Monique Robin (Fr., 2017, 90 min). En avant-première, « Télérama » propose de visionner sur son site l’intégralité du documentaire.