Harcèlement sexuel au travail : comment peut-on agir ?
Harcèlement sexuel au travail : comment peut-on agir ?
Par Charlotte Chabas
Une femme sur cinq a été harcelée sexuellement dans le cadre de son travail. Concrètement, chacun peut agir pour enrayer ce phénomène de société.
Dans les cas de harcèlement sexuel, 95 % des femmes qui dénoncent les faits perdent leur emploi, selon les associations. / THOMAS SAMSON / AFP
Depuis près d’une semaine, c’est une suite de chiffres vertigineux qui vient se rappeler à la société française. Une femme sur cinq a été harcelée sexuellement dans le cadre de son travail. Seules trois personnes sur dix harcelées sexuellement au travail ont rapporté les faits à leur hiérarchie, et cinq sur cent ont lancé des poursuites judiciaires. Ces données, issues d’une enquête du défenseur des droits, datée de 2014, sont au cœur de l’actualité, après l’affaire Weinstein aux Etats-Unis, qui a permis une certaine libération de la parole sur les réseaux sociaux, notamment en France à travers les hashtags #balancetonporc et #moiaussi.
Pour beaucoup, se pose aussi désormais une question élémentaire mais primordiale : « Et concrètement qu’est ce qu’on fait contre ça ? » Eléments de réponse, avec le professeur Charles Peretti, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, à l’origine de la mise en place une cellule consacrée aux victimes du harcèlement sexuel.
Pour tout le monde
Connaître la loi :
« C’est une bonne base pour commencer la réflexion et faire évoluer collectivement les mentalités », explique le professeur Charles Peretti. Complimenter l’apparence d’une collègue, envoyer à ses collaborateurs des e-mails contenant des images pornographiques, faire du pied à l’un de ses employés… autant de situations de harcèlement. En sachant ce que le cadre législatif définit comme des situations de harcèlement sexuel au travail, on peut savoir ce qui est répréhensible dans le comportement.
Le conseil est donc de lire, se renseigner, être sensibilisé, et en parler dans son entreprise et autour de soi. Pour débuter, vous pouvez par exemple commencer par tester vos connaissances grâce à notre quiz sur le sujet :
Prendre conscience de son comportement :
C’est la suite logique de cette réflexion sur le sexisme. A force de se renseigner, vous en viendrez à vous poser cette question : et moi, comment j’agis dans ce cadre-là ? Ai-je déjà adopté des comportements pouvant être classés comme répréhensibles au regard de la loi ? Des agissements à connotation sexuelle ayant provoqué l’embarras de certain.e.s collègues et proches ?
A ce titre, les témoignages qui émergent sur les réseaux sociaux sont éclairants. Parce qu’ils donnent à voir des situations du quotidien qui ont marqué la carrière des personnes qui l’ont vécue, ils doivent vous alerter sur ce qui peut heurter vos propres collègues.
« Il faut prendre le temps de les lire, de les écouter, sans juger, sans en rire pour en minimiser la portée », explique le Pr Peretti, qui conseille aussi « d’en parler dans son entourage, pour savoir ce qu’ont pu vivre les femmes autour de nous ». Car « la proximité aide à réaliser qu’on peut nous aussi avoir un comportement de harceleur ou d’agresseur ».
Eduquer :
« Changer un phénomène de société, ça passe évidemment par l’éducation », rappelle le psychiatre, qui raconte comment des petits garçons de la classe de sa fille de 7 ans se sont « mis à quatre pattes sous sa chaise pour voir sa culotte ». « On dit, ce n’est pas grave, ils sont petits, ils n’ont pas conscience de ce qu’ils font. Mais ne pas rétablir le bon comportement, ne pas dire que ce n’est pas comme ça qu’on interagit avec les autres, c’est grave », explique le spécialiste, qui prône un « socle moral minimum ».
Mais, rassurez-vous, le conseil ne vaut pas que pour les enfants : à tout âge il est possible de s’éduquer, et d’être plus attentif à certaines problématiques. Modifier individuellement son comportement, c’est aussi contribuer à faire évoluer la société, et démonter progressivement les mécanismes qui conduisent au silence des victimes.
Ne pas juger :
Pour les victimes de harcèlement sexuel, « il faut le dire et le rappeler, c’est une abomination », rappelle Charles Peretti. Perte de repères, de confiance en soi, sentiment de déshumanisation… les effets de cette forme de harcèlement « peuvent être très lourds, avec des conséquences destructrices sur la vie quotidienne : anxiété, sentiment de culpabilité, dépression, somatisation, troubles de la libido ».
Confronté à ces conditions, nul ne sait comment il réagirait. Quand les personnes harcelées sexuellement parviennent à l’exprimer, il faut donc « se garder de tout jugement hâtif et péremptoire », insiste le psychiatre.
« Après coup, il est extrêmement facile de dire “à ta place, j’aurais fait ça” ou “tu aurais dû”. Mais ça ne fait qu’enfoncer la victime un peu plus, en la considérant comme quelqu’un incapable d’avoir eu la bonne réaction, alors qu’elle a simplement eu la réaction que son état psychologique lui a permis d’avoir. »
Là encore, la préconisation reste la même « être attentif à ceux qui nous entourent ». Car si une situation problématique émerge, « les victimes sauront que vous êtes une personne à qui elles peuvent parler, qui pourra accueillir leur parole et les aider plutôt que de les rabaisser », poursuit Charles Peretti.
Pour les victimes
Eviter l’isolement :
Les mécanismes du harcèlement sexuel – de par le sentiment de honte qu’il procure notamment – font que « beaucoup de victimes s’enfoncent progressivement dans la solitude », note le Pr Peretti.
Il existe des recours, autour de chacun d’entre nous. Cela peut être au sein de l’entreprise par le biais du service des ressources humaines ou par les syndicats. Dans le cadre professionnel, il peut également s’agir du médecin du travail, de l’inspection du travail, ou encore du défenseur des droits, qui peut diligenter une enquête au sein de l’entreprise.
Mais cela peut aussi passer par des associations spécialisées, qui pourront vous apporter un accompagnement adapté à votre situation. C’est le cas notamment de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Un numéro d’urgence destiné aux victimes ou témoins de harcèlement existe, le 08-842-846-37.
Enfin, la sphère médicale est également un recours important pour les victimes de harcèlement sexuel. « Le harcèlement sexuel est une pathologie médicale », rappelle Charles Peretti, dont les conséquences « doivent être prises en charge par des professionnels formés ». Lui a mis en place un numéro vert pour les victimes cherchant un accompagnement médical, le 0800-00-46-41.
Bien sûr, les situations peuvent être complexes. Parfois, des handicaps compliquent en outre la communication, car « on oublie que beaucoup de victimes sont des personnes vulnérables, parfois souffrant de handicap mental », relève Charles Peretti. Dans ces cas, c’est à l’entourage d’être « encore plus attentif », souligne le psychiatre.
Accumuler des preuves :
Plus facile à dire qu’à faire, certes. Mais dans les cas de harcèlement sexuel, « il s’agit de fournir tout un faisceau d’éléments qui peuvent corroborer une parole », rappelle Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT.
Des textos, des courriels ou des enregistrements clandestins constituent des preuves matérielles. Laure Ignace, de l’AVFT, explique en effet qu’« au pénal, la preuve est libre, même celle enregistrée à l’insu de la personne ». Des témoignages de collègues, des certificats médicaux, ou encore un arrêt maladie peuvent être également présentés à la connaissance des juges.
Car une victime de harcèlement sexuel peut évidemment poursuivre son harceleur en justice en déposant plainte auprès de la gendarmerie, du commissariat ou du procureur de la République, mais elle peut également poursuivre son employeur, qui est responsable de la sécurité des salariés. Dans ce cas, elle doit saisir le conseil des prud’hommes ou le tribunal administratif. Le conseil est donc, là aussi, de bien se renseigner pour connaître ses droits, notamment par les relais évoqués plus tôt.
Le harceleur encourt au pénal jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende dans des circonstances aggravantes.
Pour les témoins
Etre attentif :
Si, dans votre cadre professionnel, vous avez observé des changements dans le comportement d’un proche ou d’un collègue qui peut laisser penser qu’il ou elle vit une situation de harcèlement au travail, n’hésitez pas à lui procurer des espaces privilégiés qui pourraient lui permettre d’en parler. « Forcer quelqu’un à parler ou le brusquer pour déclencher la parole peut avoir des effets tout aussi destructeurs que le silence. Il faut que la démarche vienne de la personne harcelée », rappelle le psychiatre. Cela exige, là encore, d’être attentif à son entourage, sans le contraindre.
Dans la plupart des cas, l’un des mécanismes qui fait durer ces situations est la crainte de perdre son emploi. D’après les associations qui aident les victimes de harcèlement sexuel au travail, 95 % des femmes qui dénoncent les faits perdent leur emploi − soit en partant d’elles-mêmes, soit en étant poussées vers la sortie par leur hiérarchie. Cette dépendance économique incite les victimes à se taire, ce qui les rend encore plus vulnérable.
D’où provient le chiffre des 95 % des femmes qui perdent leur emploi si elles parlent ?
L’une des craintes légitimes les plus citées sur les réseaux sociaux pour expliquer la difficulté pour les femmes de dénoncer le harcèlement sexuel ou les agressions sexuelles dont elles font l’objet est le fait de perdre son emploi.
Le chiffre de 95 % des femmes perdant leur emploi après avoir dénoncé leur agression a été maintes fois repris ces derniers jours. Il provient de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui cite ce chiffre une première fois en 1998. Dans une lettre adressée à Martine Aubry, à l’époque ministre de l’emploi et de la solidarité, l’association indique que sur les 400 femmes victimes qu’elle suit, 95 % ont perdu leur emploi. Elle n’indique en revanche pas si ces 400 femmes ont dénoncé leur situation.
L’AVFT parle de « quasi totalité » des dossiers en 2011 dans une lettre ouverte à Laurence Parisot et cite une seconde fois ce chiffre en 2012 dans une autre lettre ouverte, en précisant bien que la dénonciation des violences sexuelles au travail a entraîné dans 95 % des dossiers ouverts à l’AVFT une rupture du contrat de travail.
Il est utile de « rappeler à la personne harcelée qu’il y a des démarches à mettre en place au plan judiciaire pour obtenir des indemnisations », précise le Pr Peretti. Pour « ne pas que la victime soit doublement victime ».
S’interposer :
Dans beaucoup de cas de harcèlements sexuels, « le harceleur instaure progressivement un rapport unique avec sa victime dont les autres collègues sont progressivement exclus. J’ai rencontré des collègues d’une même entreprise dont l’employeur changeait de cible chaque mois : il y avait une telle panique à l’idée d’être la prochaine sur la liste qu’il était impossible pour elles de construire une riposte collective », souligne le psychiatre.
Briser cette exclusivité en s’interposant peut aider à perturber la situation et contribuer à y mettre un terme. Toutefois, s’interposer ou faire diversion peut aussi être lourd à porter individuellement. Dans ce cas-là, il est bon d’impliquer d’autres collègues pour faire front contre le harceleur.
Etre un relais :
Si la victime n’a pas osé briser le silence, rien ne vous empêche d’accumuler de votre côté les preuves qui vous ont amené à suspecter une situation de harcèlement sexuel. Cela sera utile à la victime si elle lance une procédure contre son agresseur.
Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) : 08-842-846-37, tous les jours de 9 heures à 21 heures.
Numéro vert pour les victimes cherchant un accompagnement médical : 0800-00-46-41, du lundi au vendredi, de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 16 heures.
N’hésitez pas à nous faire part d’autres suggestions d’actions efficaces dans les commentaires ou sur les réseaux sociaux pour enrichir cet article ou pour des articles ultérieurs.