Argentine : un cadavre pourrait être celui d’un artisan disparu après une manifestation
Argentine : un cadavre pourrait être celui d’un artisan disparu après une manifestation
Par Christine Legrand (Buenos Aires, correspondante)
La disparition de Santiago Maldonado après une intervention musclée de la gendarmerie a marqué la campagne pour les élections législatives de dimanche.
Une manifestante demande « Où est Santiago Maldonado ? », à Buenos Aires, le 18 octobre. / MARCOS BRINDICCI / REUTERS
Le corps trouvé mardi 17 octobre dans la rivière Chubut, en Patagonie, est-il celui de Santiago Maldonado, l’artisan de 28 ans qui a disparu depuis le 1er août en Argentine ? Cette hypothèse ébranle la société argentine, mais aussi le gouvernement de centre-droit de Mauricio Macri, à trois jours des élections législatives de mi-mandat du dimanche 22 octobre.
Après la découverte macabre, tous les partis politiques ont annulé leurs derniers rendez-vous de campagne électorale prévus jeudi. C’est dire si cette disparition, qualifiée par la justice de « disparition forcée de personne », et qui a réveillé les vieux démons de la dictature militaire (1976-1983) et ses quelque 30 000 disparus, a marqué le pays depuis trois mois. C’est la première fois, depuis les années de plomb, qu’une instance de l’Etat est soupçonnée d’avoir fait disparaître un opposant.
Le corps a été rapatrié à Buenos Aires pour être soumis à autopsie et identifié, ce qui pourrait prendre de longues heures. A la morgue, Sergio Maldonado, un des frères de l’artisan, n’a pas pu le reconnaître.
Curieusement, il a été retrouvé, après soixante-dix-huit jours de recherche, dans la rivière Chubut, qui avait pourtant déjà été ratissée à trois reprises. Le corps flottait entre des branches à seulement 300 mètres de là où Santiago Maldonado a été vu pour la dernière fois, sur la route 40 à 1 800 kilomètres de Buenos Aires, lors d’une opération musclée de la gendarmerie pour disperser une manifestation de la communauté indienne mapuche de Cushamen. Selon des témoins, le jeune homme aurait été arrêté, frappé, puis embarqué dans un fourgon de la gendarmerie.
Visage doux, regard grave
« Où se trouve Santiago Maldonado ? » : depuis des semaines, cette lancinante question a envahi les réseaux sociaux, suscitant une vive polémique dans le pays, où les défenseurs des droits de l’homme se sont mobilisés à plusieurs reprises, organisant de vastes manifestations en Argentine, mais aussi à l’étranger. La photo du disparu est épinglée partout : un visage doux, encadré d’une barbe et de cheveux longs. Et un regard grave qui semble interpeller les passants.
Santiago Maldonado, qui n’était affilié à aucun parti politique, était solidaire des revendications mapuches pour récupérer leurs terres ancestrales, vendues en 1991 au magnat italien Luciano Benetton. Un groupe d’indigènes occupe depuis 2015 une portion de ces terres et bloque régulièrement des routes pour en revendiquer la propriété.
On estime la communauté mapuche à près de 1,7 million de personnes, dont 80 % vivent au Chili. Jones Huala, 31 ans, l’un des fondateurs de la Résistance ancestrale mapuche (RAM), partisan de la lutte armée, est en prison en Argentine. Le Chili a sollicité son extradition, l’accusant d’avoir provoqué des incendies et de détention illégale d’armes.
Originaire de Veinticinco de Mayo, à 230 kilomètres à l’ouest de Buenos Aires, où vivent ses parents, Santiago Maldonado, qui se définit comme un « nomade », est parti s’installer comme tatoueur il y a quelques mois dans la ville d’El Bolson, à 70 kilomètres de là où il a disparu. C’est un endroit prisé depuis la fin des années 1970 par les communautés hippies, qui y vivent de leur artisanat.
Nombreuses affaires non élucidées
A Buenos Aires, en pleine campagne électorale, l’opposition s’est emparée de l’affaire pour critiquer durement le gouvernement et le silence du président Macri. Le cas Maldonado est devenu une affaire d’Etat, impliquant notamment la ministre de la sécurité, Patricia Bullrich, qui a qualifié les mapuches de « terroristes » et nié depuis le début toute responsabilité des gendarmes.
La famille Maldonado et les défenseurs des droits de l’homme avancent l’hypothèse d’un enlèvement par la gendarmerie. Le Prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel a ouvertement rendu l’Etat responsable, réclamant la démission de Mme Bullrich. Les mapuches déclarent que le cadavre découvert mardi a été déposé sur les terres qu’ils occupent afin de les faire accuser du meurtre.
En Argentine, où de nombreuses affaires n’ont jamais été élucidées – comme l’attentat contre la mutuelle israélite AMIA, qui a coûté la vie à 85 personnes en 1994, ou la mort du procureur Alfredo Nisman en 2015, dont on ne sait toujours pas s’il s’est suicidé ou a été assassiné –, la société reste très suspicieuse et les théories du complot vont bon train.
Si l’autopsie confirme que le corps retrouvé est celui de Santiago Maldonado, l’enquête devra déterminer la cause de la mort, à quel moment elle s’est produite, s’il a été victime de violence ou s’il s’est noyé, mais aussi pourquoi le cadavre n’a été découvert qu’après soixante-dix-huit jours. « Pourquoi un corps apparaît après trois ratissages d’un endroit bien précis ? », interroge Veronica Heredia, l’avocate de la famille Maldonado. Selon elle, « toutes les hypothèses sont possibles, et l’une d’elles est que le corps ait été déposé intentionnellement à cet endroit ».