Au Liban, trente-cinq ans d’attente pour le verdict dans l’affaire de l’assassinat du président Gemayel
Au Liban, trente-cinq ans d’attente pour le verdict dans l’affaire de l’assassinat du président Gemayel
Par Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Le militant prosyrien Habib Chartouni a été condamné à mort par contumace, pour avoir tué Bachir Gemayel en 1982, trois semaines après son élection à la tête du pays.
Affiche en hommage à Bachir Gemayel, à Beyrouth, le 20 octobre. / MOHAMED AZAKIR/REUTERS
Le Liban s’est replongé, vendredi 20 octobre, dans l’une des pages les plus controversées de sa guerre civile. Trente-cinq ans après l’assassinat du président Bachir Gemayel, adulé par une grande partie de la communauté chrétienne, et décrié comme un « traître » par beaucoup d’autres habitants du pays, l’auteur des faits, le Libanais Habib Chartouni, militant prosyrien de 59 ans, a été condamné à mort par contumace. La Cour de justice, un tribunal d’exception dont les verdicts sont sans appel, l’a reconnu coupable de l’attentat à la bombe qui a dévasté, le 14 septembre 1982, le siège à Beyrouth des Kataëb (Phalanges), le parti dont M. Gemayel était le chef, causant sa mort et celle de 32 autres personnes.
Incarcéré peu après, M. Chartouni, membre du Parti national social syrien (PNSS), une formation alliée à Damas, avait reconnu, depuis sa cellule, sa responsabilité dans l’explosion. Il avait réussi à s’évader en 1990, après huit ans de prison sans jugement, et n’a pas réapparu en public depuis cette date. Dans une interview au quotidien libanais Al-Akhbar, publiée la veille du verdict, l’homme, qui est présenté comme un « héros », qualifiait la décision attendue de « jugement politique ».
Mort vingt jours après son élection à la présidence du Liban, Bachir Gemayel était un seigneur de guerre redouté. Il s’était imposé dans le sang comme le chef du camp chrétien conservateur, face au camp dit « islamo-progressiste », composé principalement des milices palestiniennes et druzes. Il avait noué, dans son ascension militaro-politique, une alliance clandestine avec Israël, qui, en échange d’un soutien en armes et en renseignements, espérait le voir écraser les fedayins de l’OLP au Liban.
Au lendemain de son assassinat, les partisans de « cheikh Bachir » s’étaient vengés sur les Palestiniens des camps de Sabra et Chatila, dans le sud de Beyrouth, massacrant entre 800 et 1 500 civils désarmés, sous le regard complice de l’armée israélienne, déployée tout autour.
Avant l’énoncé du verdict, des militants du PNSS ont manifesté aux abords du palais de justice, en brandissant des photos de Bachir Gemayel au côté d’Ariel Sharon, ministre de la défense d’Israël en 1982, poussé à la démission après le massacre. « Habib Chartouni a exécuté le jugement du peuple contre celui qui a tué son peuple. Bachir Gemayel est un criminel et un traître qui a collaboré avec l’ennemi », a déclaré l’un des initiateurs du rassemblement.
Un acte d’accusation avait été émis à l’encontre de M. Chartouni dès 1996, mais l’occupation syrienne du Liban avait longtemps empêché que la procédure ne démarre. « Ce verdict nous donne espoir que justice soit rendue à tous les martyrs de la cause et aux martyrs de la “révolution du Cèdre” », a déclaré la veuve du président assassiné, Solange Gemayel, en référence aux nombreuses personnalités hostiles à Damas assassinées depuis le départ forcé des troupes syriennes du pays du Cèdre, en 2005. La peine de mort est prévue dans la loi libanaise mais, dans la pratique, un moratoire non déclaré est en vigueur depuis 2004.