A Kisumu, bastion de l’opposition kényane, un commissaire électoral sans électeurs
A Kisumu, bastion de l’opposition kényane, un commissaire électoral sans électeurs
Par Marion Douet (Kisumu, Kenya, envoyée spéciale)
Représentant de l’IEBC, John Muyekho était chargé de l’une des circonscriptions de l’ouest qui ont refusé de voter le 26 octobre.
Voilà trois jours qu’il était enfermé chez lui. Depuis l’annonce, vendredi 27 octobre, d’un nouveau report de l’élection présidentielle dans quatre comtés de l’ouest du pays, John Muyekho, responsable de la Commission électorale (IEBC) pour la circonscription de Kisumu-Centre, n’est pas sorti. « J’attendais qu’on me dise quoi faire », admet humblement ce petit homme calme aux cheveux blancs naissants.
Trois jours à attendre des instructions du siège de l’IEBC, occupée à comptabiliser les résultats de cette élection qui s’est tenue partout dans le pays le 26 octobre. Partout, sauf dans ces quatre comtés, où les habitants ont boycotté le scrutin et où les bureaux n’ont pu ouvrir leurs portes. Trois jours aussi à éviter les menaces pour sa vie et à tenter de trouver le sommeil après des semaines de stress et de pressions intenses qui ont atteint leur paroxysme avec le scrutin de jeudi.
Pour John Muyekho, le jour du vote a été un calvaire. Comme il l’avait probablement fait au mois d’août, le référent électoral avait passé son costume avant de se rendre à l’école Lions Hill de Kisumu, le centre de comptage de la circonscription dont il était chargé.
Mais, en dehors de cette formalité, rien ne s’est déroulé comme un jour d’élection normal : pas un bureau de vote opérationnel, pas un isoloir installé, pas une urne remplie. En fin de journée, c’est par des journalistes que John Muyekho apprenait, alors que des coups de feu nourris éclataient dans le bloc voisin, que l’élection présidentielle dans l’ouest était officiellement reportée à samedi. « Un nouveau vote ? Cela nous laisse un jour de plus », répétait-il sans y croire, hébété, perdu.
Evacué dans le brouhaha
Si John Muyekho n’est qu’un simple rouage de l’IEBC, pris au milieu d’une grave crise électorale, il n’est pourtant pas un novice. C’est avec une certaine fierté que ce comptable de formation raconte avoir postulé il y a sept ans à l’IEBC, car il « cherchait un job » mais y voyait aussi « l’opportunité de servir son pays ». « J’étais l’un des pionniers et je n’ai jamais vu cela, c’est complètement fou », racontait-il avant le vote en parcourant son téléphone portable où s’affichaient plus de 300 messages non lus.
Ce Luhya, habitant de la région voisine de Bungoma, a été affecté en plein cœur du pays luo, ethnie de l’opposant Raila Odinga, farouchement opposée à la tenue du vote. « Je n’ai pas ressenti d’agressivité en tant que luhya mais en tant que membre de l’IEBC, certains de mes agents sont luo et sont menacés de la même façon », raconte-t-il, précisant qu’il « ne peut plus marcher en ville ». Une agressivité suscitée par les graves « irrégularités » relevées par la Cour suprême dans la transmission des résultats du scrutin du 8 août, annulé le 1er septembre par l’institution.
Quelques jours avant le vote, les télévisions nationales ont retransmis l’agression de membres de l’IEBC en pleine séance de préparation par des partisans de l’opposition. Des images où l’on distingue un John Muyekho évacué dans le brouhaha par la police, tandis que, dans une autre séquence, sa collaboratrice Diana Odhiambo est frappée au visage. L’impact a été immédiat sur ses équipes : contre 400 agents présents pour assurer le vote en août, seule une poignée est venue travailler jeudi malgré ses appels insistants. Les autres sont restés chez eux, terrorisés. Une stratégie que John Muyekho, en bon capitaine responsable, a également finie par adopter.
Une page se tourne désormais avec l’annonce de la victoire du président Uhuru Kenyatta, avec quelque 98,26 % des voix et une participation qui atteint difficilement 38,8 %, et l’abandon définitif d’un nouveau scrutin dans les comtés qui n’ont pas voté. La voix de John Muyekho, joint par téléphone, se fait enjouée même s’il n’ose admettre qu’il est soulagé : « Je suis un soldat [de l’IEBC], je n’ai pas à être soulagé, je prends les ordres qu’on m’envoie d’en haut. » Et d’ajouter, alors que cette annonce pourrait provoquer de nouvelles tensions dans l’ouest, que, pour sa part, il se contentera désormais de prier, loin de Kisumu.