French Lucas "DaXe" Cuillerier, de PSG Esports Team contre German Florian Muller "Cody", du FC Basel, en finale de l’ESWC Fifa 18 Challenge, à la Paris Games Week. / THOMAS SAMSON / AFP

Stéphan Euthine, président de l’association France eSports, explique au Monde que les exigences posées par le Comité international olympique (CIO) pour la reconnaissance sportive de l’e-sport, à savoir la création d’une fédération internationale basée sur des valeurs olympiques, ne sont pas réalisables dans les délais imposés.

Quelle est la probabilité aujourd’hui de voir l’e-sport intégrer les Jeux olympiques de 2024 ?

Stéphan Eustine : Il y a une procédure très stricte au vu du calendrier mis en place par le CIO, qui fait que la déclaration des disciplines proposées par le futur comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO) doit se faire d’ici un an. Cela veut dire qu’un jeu vidéo qui voudrait être une discipline et répondre aux exigences du CIO – être structuré au niveau international avec une fédération – actuellement, on n’en a pas. D’ici un an, en aura-t-on ? Je suis assez pessimiste.

Cela semble-t-il davantage réalisable pour les Jeux olympiques de 2028, à Los Angeles ?

Pourquoi pas. Cinq ans – si l’on suit la logique du calendrier de soumission –, cela laisse davantage de liberté pour imaginer les choses possibles sur un, deux ou trois titres. Mais pas sur tous, car il est très difficile de fédérer tous les éditeurs. Tous n’ont pas la même stratégie, que ce soit d’un point de vue commercial ou marketing. Parfois cela converge, parfois cela diverge. Alors quand on veut réunir trente éditeurs, forcément, c’est sportif.

Il y a plein de contraintes, il faut voir si c’est intéressant pour les éditeurs, pour les promoteurs, pour les joueurs… Sur le papier, cela a l’air bien, ce serait évidemment un aboutissement qui nous ferait plaisir, mais qu’est-ce que cela impliquerait économiquement et en termes de développement interne ? Est-ce qu’aller aux JO ne nous bloquerait pas en raison des contraintes ? Il faut anticiper.

Quels sont les autres obstacles à la reconnaissance de l’e-sport que vous rencontrez ?

Dans certains pays, l’e-sport est considéré comme de la publicité déguisée pour le jeu. Alors que lorsque du football est diffusé, personne ne dit que c’est de la publicité déguisée pour le ballon. Il va falloir trouver des règles qui soient compatibles avec tous les pays.

L’autre aspect, ce sont les jeux déconseillés aux mineurs. Faut-il les soutenir malgré tout ?

Comme dans le sport, certaines pratiques débutent à 5 ans, d’autres à 16, parce qu’elles sont plus exigeantes ou plus violentes. C’est pareil dans l’e-sport, on a des jeux PEGI 3, PEGI 7, PEGI 12, PEGI 18. Plus on va aller vers le haut, fatalement, plus il va être dur de développer une communauté. Le PEGI 18 amène peut-être trop de violence pour le format. Peut-être faudra-t-il développer des versions allégées qui permettent la compétition.

Qu’en est-il par ailleurs des compétitions de jeux rétro et du speedrun [fait de finir le plus rapidement possible un jeu vidéo], qui ne sont d’aucun intérêt pour les éditeurs ?

Pour moi, la réponse est simple : l’e-sport professionnel se développe comme les sports professionnels, sur la demande des spectateurs, et il est porté par les gros jeux. Mais il y a la place à côté pour un e-sport amateur, comme il y a du sport amateur. Il faut scinder ces deux univers, et imaginer un e-sport amateur avec des valeurs vraiment sportives, sans cashprize [récompense en argent]. Cela lui permettrait de grandir, de profiter de salles et pourquoi pas de subventions, car on serait dans un domaine associatif, lié à des valeurs, avec un objectif sociétal.

Où en est-on aujourd’hui de la constitution d’une fédération française d’e-sport ?

La première problématique d’une fédération, c’est de dépendre d’un ministère. Si c’est le ministère qui nous paraît le plus logique actuellement, à savoir celui de la jeunesse et des sports, cela suppose de rentrer dans le code du sport. C’est le premier frein. Il est très lourd déjà pour le monde sportif, nous ne sommes pas capables de rentrer dedans. Je serais plus d’avis de réfléchir avec des universitaires et des institutionnels à la création d’un code de l’e-sport.

Quels sont les éléments bloquants dans le code du sport ?

C’est la propriété intellectuelle. On ne peut pas, sous couvert de format sportif, retirer à un éditeur toute légitimité à gérer son jeu. Or selon le code du sport, l’organisateur est propriétaire de tout ce qui est diffusé lors de sa compétition. Cela déshérite complètement l’éditeur, ce qui est impensable dans notre schéma.

Recherchez-vous absolument l’égide du ministère des sports ?

Du ministère de la jeunesse et des sports. Car derrière il y a aussi du loisir, ce n’est pas que du sport. Pour moi, c’est plus cohérent que sous l’égide du ministère de l’économie et du numérique, même si, pourquoi pas ? L’équitation a bien été affiliée au ministère de l’agriculture. On a besoin d’être chapeautés, encadrés, et surtout soutenus et aidés.

Les années précédentes, le ministère des sports ne voulait pas entendre parler d’e-sport. Avez-vous senti une évolution ?

Il y a une petite phrase qui nous fait toujours rire : il y a deux ans, quand on allait voir le ministère des sports, on nous a dit : « C’est génial ce que vous faites, mais si dans e-sport, vous pourriez retirer sport, cela nous arrangerait. » C’est vrai qu’on partait de très loin. Avec le rajeunissement du gouvernement opéré suite aux dernières élections, on se retrouve avec des gens de 40-45 ans, alors que leurs prédécesseurs étaient plus âgés et ne comprenaient même pas le jeu vidéo. C’était impossible de leur parler d’e-sport.

Très concrètement, le ministère des sports affiche aujourd’hui son intérêt ?

Le ministère des sports est un peu obligé de se saisir du sujet et d’y réfléchir, puisque les JO s’y intéressent et que notre pratique prend de l’ampleur.

A quel horizon est-il envisageable de voir l’apparition d’une fédération française de l’e-sport ?

On nous demande de nous structurer à une vitesse qui est affolante. Dans l’idéal, si on pouvait sortir un format amateur, fédéral, d’ici deux ans – et je suis optimiste – ce serait génial. On ne peut pas faire moins. Cela laisse le temps de faire des études, c’est réalisable. Au niveau international, par rebond, il faudra que cette structure-là trouve écho dans les autres pays, peut-être autour d’une fédération internationale qui existe déjà, ce qui nous ferait gagner du temps. Avant quatre ans, cela me paraît compliqué.

A défaut de voir l’e-sport intégré au programme des Jeux olympiques dès 2024, peut-il y être présent malgré tout d’une autre manière ?

On peut participer à la fête olympique en étant en présentation de notre activité. Pourquoi ne pas imaginer, sur la scène et au moment des Jeux olympiques, arriver avec notre compétition à nous, qui viendrait en parallèle ?

Ce serait aussi une manière d’évaluer la réception auprès des spectateurs sportifs traditionnels ?

C’est une manière de poser la question. Nous avons été créés par les communautés, ce sera les communautés de spectateurs qui diront si l’e-sport a peut-être sa place. Le public viendrait alimenter le débat sur la présence ou non de l’e-sport aux jeux.