Non, la laïcité n’existe pas que dans les pays aux racines chrétiennes
Non, la laïcité n’existe pas que dans les pays aux racines chrétiennes
Par Anne-Sophie Faivre Le Cadre
La députée Valérie Boyer a pris quelques libertés avec la réalité historique et géopolitique.
« Oui, la laïcité n’existe que dans les pays aux racines chrétiennes. Qui peut dire le contraire ? », s’est interrogée Valérie Boyer, députée (Les Républicains) des Bouches-du-Rhône et ancienne maire du 6e arrondissement de Marseille dans un tweet posté dimanche 5 novembre.
Ce qu’elle a dit :
Pourquoi c’est faux
Quelques rapides recherches et de nombreux contre-exemples permettent de répondre par la négative à son interrogation. L’exemple de la Turquie est le plus parlant : avant l’ère Erdogan, la laïcité était inscrite dans la Constitution depuis 1928. Dès 1924, les tribunaux religieux y étaient abolis – deux ans plus tard, la charia était à son tour abolie, pour être remplacée par une adaptation du code civil suisse.
Plus récemment, en 2008, la cour constitutionnelle turque annulait un amendement autorisant le port du voile à l’université. La laïcité est toutefois compromise avec la montée en puissance de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir. Le 25 avril 2016, Ismail Kahraman, président de l’assemblée nationale turque, déclenchait une vive polémique en déclarant que la Turquie était un pays musulman, et que par conséquent, la laïcité ne devait pas figurer au sein de la prochaine constitution turque.
Le rapporteur général de l’observatoire de la laïcité, Nicolas Cadène, a corrigé les erreurs de Valérie Boyer sur Twitter. « Cette réflexion est absurde », fustige-t-il :
« De nombreux Etats dépourvus de racines chrétiennes appliquent la séparation entre les Eglises et l’Etat, et ce même si le mot “laïcité” n’est pas inscrit dans leur Constitution : le Nigeria, le Niger ou la Tunisie, par exemple. »
C’est faux : Mali, Sénégal, Guinée, Turquie, etc. Et certains pays «chrétiens» ont toujours une religion d’Etat. Le… https://t.co/TVnTpbP8yL
— ncadene (@Nicolas Cadène)
De nombreux pays africains sont laïcs
En Afrique, de nombreux Etats se réclament de la laïcité. Cette dernière est inscrite dans la Constitution du Mali dès son préambule. La Constitution du Sénégal dispose, dès son premier article, que « La République du Sénégal est laïque ». En Guinée, dès 1958, le premier article de la Constitution dispose que « la Guinée est une République démocratique, laïque et sociale ». De même, le Togo, la République démocratique du Congo, le Cameroun, le Gabon, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Tchad, la République centrafricaine, la Tanzanie et la Namibie ont inscrit la laïcité dans leur Constitution. Nicolas Cadène précise :
« Certains de ces Etats sont paradoxaux : ils sont laïcs, mais avec une religiosité très forte. »
En Asie, la Constitution du Japon, rédigée en 1946, prévoit une séparation des organismes religieux et de l’Etat. Son article 20 garantit la liberté de religion à tous, tout en disposant que « l’Etat et ses organes s’abstiendront de l’enseignement religieux ou de toutes autres activités religieuses ». En Inde, la laïcité est également inscrite dans la Constitution. « C’est toutefois une laïcité très différente de la conception française, notamment à cause du système de castes », tempère le rapporteur général de l’observatoire de la laïcité.
Religions d’Etat en Europe
Par ailleurs, de nombreux pays européens et de tradition chrétienne continuent à avoir une religion d’Etat. La Constitution grecque, datée de 1975, dispose que « la religion dominante en Grèce est celle de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ. L’Eglise Orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour chef notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Eglise de Constantinople et à toute autre Eglise chrétienne du même dogme, observant immuablement, comme celles-ci, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions ». Jusqu’en 2000, la religion se devait d’être mentionnée sur la carte d’identité des Grecs – et l’Eglise, bien qu’autonome, n’est toujours pas séparée de l’Etat.
Sur l’île de Malte, la séparation entre l’Eglise et l’Etat est plus ténue encore. Ainsi, l’article 2 de la Constitution maltaise dispose que « la religion de Malte est romaine, catholique et apostolique » et que « l’Eglise a le droit et le devoir d’enseigner quels principes sont bien et lesquels sont mal ». Dans ce pays où la religion catholique est pratiquée par 98 % de la population, le divorce n’a été rendu légal qu’en 2011 et l’avortement reste criminel.
Le régime de religion d’Etat n’est pas marginal en Europe. Aussi, l’anglicanisme est religion d’Etat en Angleterre, et il en va de même pour l’Eglise luthérienne avec le Danemark, l’Islande et la Norvège.