Lors de sa première allocution devant l’assemblée générale des Nations unies en septembre, le président Emmanuel Macron, dans une référence historique à la seconde guerre mondiale, a parlé de façon émouvante d’une « dette » de la France « à l’égard de tous ceux qu’on a privés de leur voix ». Il a parlé des sans-voix en Syrie, dans le Sahel, et parmi les vagues de migrants forcés de quitter leur foyer en raison de multiples conflits. Il a également affirmé qu’il n’y avait « rien de plus efficace que le multilatéralisme ».

Le président Macron a raison. En tant que membre éminent des Nations unies et de l’Union européenne (UE), la France est bien placée pour mener un effort multilatéral visant à résoudre les pires conflits au monde. Dans un récent discours aux 170 ambassadeurs de France, il est allé plus loin, proclamant qu’il voulait une France « porteuse de solutions et d’initiatives lorsque se profilent des crises nouvelles ».

Une guerre civile

Le Soudan du Sud n’a certes jamais été une priorité de la politique étrangère française. Néanmoins, la France est l’un des rares pays à avoir un ambassadeur à Juba, la capitale sud-soudanaise. Il est peu d’exemple où le pouvoir du multilatéralisme, dont le président Macron parle si éloquemment, pourrait être mis à profit pour résoudre une crise qui, bien qu’elle ne soit pas nouvelle, a désespérément besoin de solutions.

Plus jeune pays au monde, né de la scission du Soudan en 2011, le Soudan du Sud est à l’origine de la plus grave crise de réfugiés sur le continent africain depuis le génocide rwandais de 1994. Deux millions de personnes, sur une population de 12 millions, ont fui le pays et deux autres millions ont été déplacées à l’intérieur du pays. Plus de la moitié de ceux qui demeurent au Soudan du Sud dépendent de l’aide alimentaire de l’ONU, grâce à la générosité des bailleurs de fonds gouvernementaux, dont la France.

La guerre au Soudan du Sud n’est ni sectaire, ni religieuse. Contrairement à de nombreux autres conflits, elle n’est pas liée au changement climatique, ni exacerbée par l’ingérence de grandes puissances. Il s’agit d’une guerre civile motivée par l’ambition personnelle des gouvernants sud-soudanais et des chefs rebelles. Elle est alimentée par des niveaux alarmants de corruption, des abus de pouvoir et la manipulation de tensions ethniques par toutes les parties.

La triste réalité est que la population sud-soudanaise continuera à souffrir tant que les seigneurs de guerre du pays n’auront aucun compte à rendre pour leurs agissements. Les circonstances sont difficiles. Pourtant, avec un fort leadership régional assorti d’un appui international, il y a encore de l’espoir pour le peuple sud-soudanais.

Misère grandissante

Des efforts de paix sont en cours. Ils sont dirigés par l’Autorité intergouvernementale sur le développement (IGAD), un bloc régional est-africain formé des pays voisins du Soudan du Sud, et visent à relancer l’accord de paix de 2015, au point mort depuis deux ans, mais pas de manière irréversible. Pour la France, un soutien appuyé à cette initiative, avec ses alliés européens et nord-américains, serait une première manière d’aider le peuple sud-soudanais.

L’élite du gouvernement du Soudan du Sud et les chefs rebelles, de plus en plus divisés, traînent les pieds face aux efforts de l’IGAD. Non contents de profiter de la misère grandissante du peuple sud-soudanais, ils mettent à l’abri dans les pays voisins leurs familles et leur butin de guerre. Malgré l’insolvabilité totale du Soudan du Sud, leurs comptes en banque à l’étranger augmentent au même rythme que les violations massives et bien documentées des droits humains commises par toutes les parties : recrutement d’enfants soldats, violences sexuelles endémiques, attaques contre les casques bleus et les travailleurs humanitaires.

En août, des parlementaires à Juba ont constaté avec stupéfaction que les revenus du pétrole sud-soudanais n’étaient pas déposés à la Banque centrale du pays. Ces précieuses devises sont probablement détournées par les chefs de guerre qui les placent dans des banques privées ou achètent des armes, au moment même où l’on demande aux bailleurs de fonds internationaux de passer à la caisse pour subvenir aux besoins des populations civiles.

Le bien-être des Sud-Soudanais semble être la dernière des préoccupations de leurs dirigeants. Le président Salva Kiir l’a reconnu à demi-mot en déclarant nonchalamment au Washington Post, en réaction à la possible interruption de l’aide américaine : « Ce n’est pas moi, en tant que personne, qui en subirai les conséquences. »

Retracer et geler les avoirs financiers

Il y a une deuxième manière pour la France d’encourager les efforts de paix au Soudan du Sud. Le Trésor américain a récemment annoncé des sanctions ciblées contre six individus sud-soudanais. La Banque centrale du Kenya a donné l’ordre à ses banques commerciales de faire de même et le Canada a lui aussi imposé ses propres sanctions. L’impact serait encore plus fort si l’Union européenne prenait à son tour des mesures similaires.

La France devrait soutenir l’imposition immédiate de sanctions européennes ciblées contre des dirigeants gouvernementaux et rebelles qui font obstruction à la paix. Elle devrait soutenir un embargo international sur les armes, et exiger de l’Ouganda voisin qu’il cesse d’alimenter en armes les forces armées du Soudan du Sud. La France devrait user de son influence, en tant qu’acteur clé du système bancaire international, pour retracer et geler les avoirs financiers placés à l’étranger par les auteurs présumés de crimes de guerre.

Il ne s’agit pas d’imposer des sanctions sans limite. Elles pourraient être levées si les dirigeants du Soudan du Sud s’engagent activement dans le processus de revitalisation de la paix.

Les intérêts commerciaux de la compagnie pétrolière française Total, qui dispose de permis d’exploitation dans les provinces les plus touchées par la guerre au Soudan du Sud, ne devraient pas entrer en ligne de compte dans la discussion sur de possibles sanctions.

En agissant de concert avec ses alliés de l’ONU et de l’Union européenne, la France peut faire beaucoup pour amener les dirigeants sud-soudanais sur le chemin de la paix. Cela pourrait être une manière d’honorer la dette dont le président Macron a parlé avec tant d’humilité et de grandeur d’âme. Cela contribuerait à donner vie à la vision ambitieuse qu’il a partagée avec les ambassadeurs : permettre à la France de « faire entendre sa voix » et d’« influencer le cours du monde ».

Pour de trop nombreux Sud-Soudanais, ces efforts interviendront trop tard. Mais pour les millions d’autres qui n’ont pas abandonné tout espoir pour leur jeune pays, la France a la responsabilité d’agir.

Diplomate canadien, Nicholas Coghlan a été, de 2012 à 2016, le premier ambassadeur résident du Canada au Soudan du Sud. Il vient de publier Collapse of a Country : a Diplomat’s Memoir of South Sudan, aux éditions McGill-Queen’s University Press (non traduit).