Un an après l’élection de Donald Trump, Corentin Sellin, professeur d’histoire spécialiste des Etats-Unis, répondait aux questions des lecteurs du Monde.fr, mercredi 8 novembre. Voici des extraits de cet échange en direct.

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Francis : Qui soutient encore Donald Trump aux Etats-Unis ?

Corentin Sellin : Il y a une convergence des études d’opinion pour montrer qu’aujourd’hui, Donald Trump est désapprouvé par environ 60 % de la population, 50 % le désapprouvant très fortement. Mais dans le même temps, ces études montrent que 20 à 25 % de l’électorat le soutient très fortement. Dans le dernier sondage Pew de fin octobre, il ressort que l’approbation de Trump est d’environ 85 % chez les républicains les plus conservateurs. Parmi ceux-ci, les Blancs évangéliques, qui avaient voté à plus de 80 % pour Trump en 2016, restent son socle le plus solide. A l’inverse, la working class blanche, qui avait aussi voté massivement pour lui, semble plus circonspecte.

Axe : L’élection de Donald Trump avait montré une Amérique particulièrement divisée… Qu’en est-il un an après ?

L’élection de Trump était le symptôme d’Etats-Unis déjà très polarisés idéologiquement depuis au moins le début de la présidence Obama. Les enquêtes d’opinion montrent que de plus en plus d’Américains n’ont pas d’amis dont les opinions politiques sont opposées aux leurs. Trump n’a fait que renforcer ce clivage en maniant des thèmes identitaires chers à sa base blanche. Ainsi, on l’a vu lors des événements de Charlottesville, il a réactivé le clivage racial entre Blancs et Afro-Américains autour des monuments confédérés. C’est un phénomène qui préexiste à Trump, lui ne fait que mettre de l’huile sur le feu.

Gultyx : Quels sont les résultats des différentes élections intermédiaires ? Y a-t-il une confirmation pour Trump ou au contraire une désapprobation ?

Jusqu’à cette nuit, Trump pouvait se targuer d’avoir remporté, par candidats interposés, toutes les élections partielles à la Chambre déclenchées par la nomination de représentants comme ministres. Mais il s’agissait de sièges de représentants très conservateurs, et donc il était assez logique que les républicains l’emportent.

La victoire des démocrates dans le New Jersey et en Virginie, dans la nuit du 7 au 8 novembre, vient confirmer pour la première fois les sondages d’intention de vote désastreux pour Trump et les républicains pour les « mid-terms » de novembre 2018. Il convient certes de relativiser ces victoires, puisque ce sont deux Etats qui avaient voté Clinton, mais le résultat en Virginie est le premier à montrer une désapprobation massive.

Le candidat démocrate élu gouverneur l’emporte avec une marge presque doublée sur celle de Clinton l’an dernier, et les démocrates font des gains massifs dans l’assemblée locale. On voit en outre avec ce scrutin que Trump s’est coupé des minorités afro-américaine et, à un degré moindre, hispanique, et ses provocations à répétition ont clairement entraîné une surmobilisation de ces minorités. Sa base blanche, populaire et rurale, n’est plus suffisante pour compenser.

Brutus : Trump a-t-il évolué sur les questions du mur entre le Mexique et les Etats-Unis et sur la santé ? Quelles sont les promesses qu’il a tenues ?

S’il y a un reproche qu’on ne peut pas faire à Donald Trump, c’est de ne pas avoir tenu ses promesses. Depuis neuf mois, il gouverne pour son socle électoral et ne recherche pas du tout le consensus. Il a entamé la « construction » du mur, a fait plusieurs versions d’une interdiction d’entrée sur le territoire visant d’abord des pays musulmans, et a essayé d’abroger l’Obamacare.

Il est donc très fidèle à une ligne à la fois nationaliste, identitaire et conservatrice. Le seul problème est qu’il se heurte ou bien au contre-pouvoir institutionnel – les Trump ban sur l’immigration ont été retoqués par la justice fédérale – ou bien à des majorités parlementaires républicaines qui ne sont pas exactement sur la même ligne, par exemple pour l’Obamacare.

Peter Cook : Quel élément décisif pourrait déclencher la procédure de destitution de Trump ?

Jusqu’aux élections de « mid-terms » de 2018, l’impeachment reste hautement improbable, avec la double majorité républicaine au Congrès. Sauf si l’enquête indépendante menée par Robert Mueller arrivait d’ici là à prouver une collusion active entre Trump et la Russie ou une entrave caractérisée de la justice.

Mais si jamais les démocrates remportaient massivement les élections au Congrès et récupéraient les deux majorités, l’impeachment redeviendrait une hypothèse beaucoup plus envisageable. Il faut cependant rappeler que deux présidents seulement ont été jugés par le Sénat après un acte d’impeachment de la Chambre, Andrew Johnson et Bill Clinton, et que tous deux ont été acquittés, car il faut une majorité des deux tiers au Sénat pour les condamner. On se rend donc compte de la difficulté à destituer un président.

Kate : L’affaire russe est-elle vraiment de nature à mettre Trump en difficulté ?

L’enquête du procureur Mueller et les principales enquêtes du Congrès entravent déjà la gouvernance de Trump, dont on voit bien par ses tweets qu’il est obsédé par cette affaire, même si c’est pour la dénoncer comme un hoax. Comme Nixon en son temps, Trump, qui a dû prendre des avocats par rapport à cette enquête, perd énormément de temps et d’énergie, qu’il n’a plus pour gouverner.

Sur le fond, deux risques majeurs : le premier est que les enquêtes, surtout celle de Mueller, puissent établir une obstruction du président à la justice pour cacher des implications personnelles ou de son entourage vis-à-vis de la Russie. Ainsi, le communiqué mensonger que Trump a rédigé pour défendre son fils après la révélation de son rendez-vous russe de juin 2016 pourrait très vite venir le hanter.

Le second risque, moins probable, est que les enquêtes établissent la preuve d’une collusion active entre Trump et la Russie pour truquer l’élection de 2016. Dans ce second cas, la preuve semble beaucoup plus difficile à établir.

Layou : Le pouvoir de nuisance des « frondeurs » républicains comme John McCain est-il suffisant pour paralyser l’administration Trump ?

Il ne faut pas surévaluer la force des frondeurs. Leus élus représentent une minorité parmi les sénateurs républicains : ils ne sont que quatre à cinq, sur 52, à réellement défier Trump. Et on constate qu’ils ne sont pas viables politiquement. Le sénateur Jeff Flake, qui, protégé par McCain, avait écrit un livre anti-Trump, a été contraint de ne pas se représenter en 2018 tellement il était impopulaire auprès de la base conservatrice dans son Etat. En 2018, même si Trump perd les élections, il devrait pouvoir procéder à une purge idéologique des élus de son parti, appuyé en cela par son ancien conseiller Steve Bannon.

Sami : Au-delà de la personne de Trump, a-t-il réussi à transformer la politique américaine et notamment le parti républicain ?

Trump a déjà révolutionné la politique américaine : il est parvenu à la présidence sans jamais avoir été élu et en autofinançant en partie sa campagne, ce qui paraissait une gageure après la dérégulation du financement électoral de 2010. D’ailleurs, on voit qu’il inspire de nouvelles vocations « présidentielles » à toute une série de milliardaires qui préféreraient y aller eux-mêmes plutôt que de financer des politiques : Mark Zuckerberg, Mark Cuban ou Tom Steyer, côté démocrate.