Danseuse enceinte licenciée : le directeur du ballet de l’Opéra de Lyon condamné pour discrimination
Danseuse enceinte licenciée : le directeur du ballet de l’Opéra de Lyon condamné pour discrimination
Par Richard Schittly (Lyon, correspondant)
La danseuse avait été congédiée, en 2014, à son retour de congé maternité. Le tribunal a rejeté les critères de libre choix artistique invoqués par la défense.
Répétition au studio de danse de l’Opéra de Lyon, en 2014. / JEFF PACHOUD / AFP
Le droit est-il soluble dans l’art ? Non, a répondu, jeudi 9 novembre, le tribunal correctionnel de Lyon, en condamnant le directeur du ballet de l’Opéra de Lyon à six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende, pour discrimination et harcèlement.
Yorgos Loukos, 67 ans, a été jugé coupable d’avoir écarté une danseuse de la troupe pour cause de maternité. Les juges ont estimé que la rupture de contrat relevait d’une infraction pénale, sans s’arrêter aux critères de libre choix artistique, invoqués par la défense. Ils ont condamné le directeur au versement de 20 000 euros de dédommagement à l’ancienne danseuse.
La décision fera date dans le monde de la danse, où les directeurs de ballet règnent en maîtres sur la carrière des danseurs. Pour l’avocat Thierry Monod, spécialiste en droit du travail, elle pourrait inspirer d’autres actions judiciaires, dans un univers très dur, sous des apparences de camaraderie complice. « Les artistes sont des personnes sensibles, fragiles, pas très procédurières, ils attendent que la parole se libère », a expliqué le défenseur de Karline Marion, 36 ans, danseuse congédiée en janvier 2014, au retour d’un congé maternité, après cinq ans au sein du ballet de Lyon.
Le directeur de ballet a justifié son choix en évoquant des « faiblesses stylistiques », un « manque de spontanéité », une « contradiction avec la modernité du répertoire », dans le rapport qu’il a adressé à la mairie de Lyon, employeur des trente danseurs du ballet.
Termes sexistes
Membre de la troupe de Maurice Béjart à ses débuts, Juliette dans la pièce de Prokofiev, Cendrillon pour la chorégraphie de Maguy Marin, choisie pour des pièces exigeantes de Merce Cunningham ou Jiri Kylian, la danseuse expérimentée a pensé que cette décision cachait un motif inavoué : sa grossesse, au moment précis où le renouvellement de son sixième contrat devait obligatoirement revêtir une durée indéterminée.
La danseuse a choisi d’enregistrer le directeur à son insu. Les conversations retranscrites révèlent un homme au ton paternaliste, l’appelant « ma petite », « ma chérie », utilisant des formules brutales, lorsqu’il lui conseille d’abandonner une tournée pour rester à Lyon « faire sa gym ». Il lui suggère de s’occuper de son enfant, en l’appelant son « truc ». Une enquête interne a confirmé des termes sexistes au sujet de femmes enceintes.
Campé à la barre, menton haut, mains dans le dos, tel un maître de ballet qui verrait s’agiter la chorégraphie judiciaire autour de lui, Yorgos Loukos a tenté d’excuser ses propos maladroits : « On est comme des sportifs, ensemble du matin au soir. » Voix forte, débit saccadé à la Karl Lagerfeld, il a justifié son choix : « Je savais qu’elle avait 35 ans, elle était pas mal mais elle n’était pas la meilleure. Tous les ans, toutes les compagnies du monde changent de danseurs. »
« L’art et le droit se combinent mal »
Pour le procureur de la République, « une grossesse va naturellement, légitimement, générer des contraintes en termes de ressources humaines, mais l’employeur doit y faire face, s’organiser ». « Qu’on ne vienne pas me dire que c’est de l’art ou de la danse, le code du travail s’applique aussi à l’Opéra de Lyon », a lancé Fabrice Tremel.
« L’art et le droit se combinent mal ; dans l’art vous n’avez pas de critères définis, une sélection en matière artistique, ce n’est que subjectif », a plaidé Frédéric Doyez. L’avocat de la défense déplore la méthode déloyale de l’enregistrement, aux dialogues volontairement orientés. Selon Me Doyez, la danseuse n’aurait pas supporté la sanction artistique et se serait vengée en portant plainte. « La danse tient à des critères tellement intimes, que c’est dur à accepter », dit-il. Pour lui, le directeur de ballet, qui a contribué à la renommée internationale de l’Opéra de Lyon, s’est uniquement demandé : « Est-ce que c’est bon pour la compagnie ou pas ? »
L’avocat a annoncé que son client allait faire appel du jugement.