Climat : « Le mode de développement à “l’occidentale” est en cause autant que la démographie »
Climat : « Le mode de développement à “l’occidentale” est en cause autant que la démographie »
Stéphane Foucart, journaliste au service Planète, a répondu à vos questions sur le manifeste publié par quinze mille scientifiques qui mettent en garde contre la destruction rapide du monde naturel.
Quinze mille biologistes, physiciens, astronomes, chimistes et autres spécialistes du climat, originaires de 184 pays, ont mis en garde, dans une tribune publiée lundi, contre la destruction rapide du monde naturel et le danger de voir l’humanité pousser « les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie ». Stéphane Foucart, journaliste au service Planète, a répondu à vos questions sur ce manifeste.
Nève : est-ce que c’est essentiellement le mode de vie « occidental » qui est à remettre en question ou la planète pourrait-elle absorber cette augmentation de population avec des modes de vie frugaux ?
Stéphane Foucart : une des principales recommandations des auteurs de l’appel est de réduire la consommation matérielle de la société. C’est, en effet, le mode de développement à « l’occidentale » qui est en cause autant que la démographie.
GIGI : le meilleur moyen de lutter contre les multiples dégâts causés par l’homme et son mode de vie ne serait-il pas de limiter son nombre ?
Un des points les plus sujets à controverse consiste en effet à alerter sur l’explosion démographique. Les auteurs rappellent que la population mondiale est passée d’environ 3 milliards d’humains en 1960 à 7,2 milliards aujourd’hui. Elle pourrait atteindre plus de 11 milliards d’ici à 2100. Pour les auteurs de l’appel, cette croissance démographique entraîne un grand nombre de conséquences désastreuses pour l’environnement puisqu’elle est corrélée à la combustion de ressources fossiles ou encore à la consommation de viande (la population de ruminants à la surface de la terre a augmenté de 20 % depuis 1992).
ak ak ak : si je comprends bien, on est cuits ? Ni Donald Trump, ni Vladimir Poutine, ni Xi Jinping ne vont renoncer facilement à défendre les intérêts de leur Etat respectif pour lutter contre quelque chose dont ils doutent…
La publication de cet appel des scientifiques correspond à l’arrivée au pouvoir aux Etats-Unis d’une administration dominée par les climatosceptiques, et dont les premières mesures consistent à défaire toutes les réglementations environnementales mises en place par l’administration Obama. Il est très peu probable que l’entourage de Donald Trump prête attention à ce texte. La Chine, au contraire, est lancée dans un programme agressif de développement des énergies renouvelables, et porte de plus en plus d’attention aux questions environnementales à mesure que sa population souffre des diverses pollutions liées à son développement économique. Il est peu probable que la Russie agisse de manière forte sur le sujet, puisque le pays tire une grande part de ses ressources de l’exportation de combustibles fossiles et se sent moins menacée par une augmentation des températures que la plupart des autres pays.
Lombe : les signataires du manifeste proposent-ils des solutions ou ne font-ils qu’un « simple » constat ?
Les auteurs proposent plusieurs mesures :
- mise en place de réserves naturelles protégées et interconnectées pour conserver les habitats naturels ;
- stopper la conversion des forêts, des prairies et des espaces sauvages en surfaces agricoles ou en zones constructibles ;
- ré-ensauvager des régions abritant des espèces endémiques afin de rétablir des processus écologiques ;
- réduire le gaspillage alimentaire par l’éducation et l’amélioration des infrastructures ;
- promouvoir une réorientation du régime alimentaire vers une nourriture plus végétale ;
- désinvestir de certains secteurs (énergies fossiles entre autres) ;
- lutter contre la défaunation, le braconnage et le trafic d’espèces protégées ;
- Réduire le taux de fécondité en promouvant l’éducation des femmes, etc.
zolielo : le groupe de scientifiques a-t-il publié une série de scénarios extrapolant les différentes tendances au niveau régional et global ? Que va-t-il se passer dans les vingt-cinq prochaines années au niveau environnemental ?
Non, le groupe de scientifiques signataires du texte a simplement complété les données qui étaient disponibles en 1992 lors de la publication de la première version de cette « mise en garde ». Les auteurs ont pu constater que toutes les tendances qui étaient montrées du doigt se sont poursuivies et accentuées (à l’exception de la dégradation de la couche d’ozone stratosphérique). Les auteurs ne dressent pas de scénario particulier pour les vingt-cinq prochaines années mais mettent en garde contre une « misère humaine généralisée » si les tendances se poursuivent à l’avenir.
Sophie Charlotte : qui sont les scientifiques ayant signé ce manifeste ?
Des scientifiques de toutes les disciplines et de 184 pays se sont associés pour signer ce texte. Il a été initié par huit chercheurs spécialistes du fonctionnement des écosystèmes, et fait suite à un premier appel lancé en 1992 à l’initiative de Henry Kendall, Prix Nobel de physique, et à l’époque président de l’organisation américaine Union of Concerned Scientists, qui avait voulu mobiliser les dirigeants et responsables politiques à l’issue du premier sommet de la Terre à Rio. En 1992, 1 700 scientifiques s’étaient associés à son texte. Ils sont aujourd’hui plus de 15 000.
Lawyertobe : est-ce de la langue de bois pour ne pas parler de fin du monde ?
Les auteurs de ce texte ne parlent pas de « fin du monde » mais d’une dégradation des conditions de vie à la surface de la terre si la dégradation de l’environnement se poursuit à ce rythme : changement climatique, érosion de la biodiversité, dépérissement de la vie marine, disponibilité réduite en eau douce…
Décroissant : pourquoi ne pas prôner une décroissance matérielle en Occident ou ne pas utiliser le « mot-obus » de décroissance dans cet appel ?
Les auteurs parlent clairement de « réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la croissance ».
Croissons-croissons : ne pensez-vous pas que la presse ou a défaut les journalistes individuellement devraient s’engager plus en avant dans ce domaine ?
La presse et les médias s’engagent de plus en plus sur ces questions et augmentent leurs couvertures. En témoigne la « une » exceptionnelle que Le Monde a consacrée à cet appel. En 1992, sa première version était passée totalement inaperçue en France. C’est le signe que les choses évoluent.
Suidakl : je suis végétalien et j’ai lu dans des études que si toute l’humanité devenait végétalienne cela suffirait à contrebalancer les émissions de gaz à effet de serre. Qu’en pensez-vous ?
La consommation de viande et de produits issus de la production animale représente un poids considérable pour le climat et l’environnement. Mais si toute l’humanité devenait végétalienne, alors d’autres problèmes environnementaux surviendraient puisque les animaux domestiques (ruminants, etc.) remplissent aussi des rôles éco-systémiques importants (fertilisation des sols, cycle de l’azote, etc.). Les auteurs de l’appel invitent à limiter la consommation de viande mais pas à la supprimer.
Membreño : n’y a-t-il pas d’appel à la catastrophe avant 1992 ?
En 1972, un groupe de décideurs et de chefs d’entreprise (le club de Rome) avait confié à des chercheurs du MIT, conduits par Dennis Meadows, la rédaction d’un rapport sur les conséquences environnementales d’une poursuite de la croissance économique au rythme des années 1960 et 1970. Les auteurs en avaient tiré un texte célèbre (Les Limites à la croissance) qui alertait le premier sur le caractère insoutenable du modèle de croissance occidental. Ce rapport a été très critiqué par l’école dominante en sciences économiques, et a finalement été ignoré.
Boudou : selon cette communauté scientifique, l’objectif des 2 °C de la COP21 est-il toujours réalisable ?
A l’heure actuelle et en l’état des discussions menées dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat, l’objectif de limiter l’augmentation de la température moyenne de la Terre à 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels est inatteignable. Les engagements pris nous conduisent vers un réchauffement de 3 °C, et sans doute un peu plus du fait du retrait américain de l’accord de Paris.