TV – « Dans l’ombre de la révolution d’Octobre : Rachmaninov, Prokofiev, Chostakovitch »
TV – « Dans l’ombre de la révolution d’Octobre : Rachmaninov, Prokofiev, Chostakovitch »
Par Renaud Machart
A voir aussi ce soir. Un documentaire accessible, mais lacunaire et parfois contestable, sur les bouleversements artistiques après la révolution (sur Arte à 2 h 20).
Dans le cadre d’une thématique intitulée « Russie : révolutions et révoltes » qui propose, du 25 octobre au 22 novembre, une riche programmation de documentaires, spectacles et films, Arte diffuse Dans l’ombre de la révolution d’Octobre : Rachmaninov, Prokofiev, Chostakovitch, d’Anna Schmidt.
Cent ans après les événements qui virent Lénine et les bolcheviks s’emparer du pouvoir en Russie, ce documentaire analyse le cas de trois grands compositeurs russes face au pouvoir soviétique et à ses diktats esthétiques. Car, après une courte période de liberté expérimentale dans les arts, au lendemain de la révolution d’Octobre, un retour à l’ordre musclé se fera sous Staline.
Sergueï Rachmaninov (1873-1943) verra dans la révolution d’Octobre une période de chaos et fuira son pays – où il ne sera finalement réhabilité que peu avant sa mort – pour la Suisse puis les Etats-Unis. Il continuera à écrire des œuvres d’essence romantique.
Sergueï Prokofiev, qui jouit d’un succès international et produit des chefs-d’œuvre « modernistes » en Europe, notamment en France, où il s’est installé, regagne définitivement l’URSS, qui lui promet un cadre idéal de création, en 1936. Pourtant, le compositeur vedette dont le retour avait été salué par le régime finira sa vie dans des conditions difficiles. Mort le même jour que Staline, on ne trouvera pas de fleurs – toutes réquisitionnées pour le Petit Père des peuples – pour l’enterrement du compositeur.
Conclusion scolaire et attendue
Dimitri Chostakovitch (1906-1975) restera dans son pays natal, qui ne cessera de censurer et d’interdire sa musique. Le tour de la question de cet apparent masochisme dont témoignera toute sa vie le compositeur n’a toujours pas été fait. Le documentaire prend le parti d’un compositeur martyr au bord du suicide.
Le cas d’un quatrième grand compositeur russe du XXe siècle, Igor Stravinsky (1882-1971), aurait pu être évoqué. Mais il est vrai que celui-ci avait rejoint les Ballets russes et Serge de Diaghilev à Paris dès 1910. Il prendra la nationalité française puis américaine.
Dans un monde idéal, ce type de documentaire très accessible serait diffusé par France Télévisions à une heure tardive mais praticable – et non à 2 h 20 comme le fait Arte. (Notons que sa première diffusion, le dimanche 5 novembre, s’était faite à 23 h 50.)
Un costume de Rachmaninov dans sa villa en Suisse. / MDR/SCHMIDTFILM
Sur la chaîne franco-allemande, on serait en droit d’attendre un propos un peu plus approfondi et détaillé. Notamment sur les incidences concrètes de la chose politique et de ses diverses censures sur l’esthétique et la facture des œuvres de Prokofiev et de Chostakovitch.
Malheureusement les musiciens et interprètes interviennent peu dans ce documentaire sinon, comme le pianiste Daniil Trifonov, pour dire que l’âme russe continue d’irriguer la musique de Rachmaninov pendant son exil européen puis nord-américain. Ce qui n’est pas véritablement une information. Ce le serait si le concept d’« âme russe » était quelque peu explicité.
Et l’on se serait passé de la conclusion en commentaire off un peu scolaire et attendue (en substance : on oublie le régime soviétique ; seules les œuvres demeurent) ainsi que d’une affirmation étrange, et naturellement fausse, de la part du musicologue Krzysztof Meyer, selon qui Chostakovitch serait « l’exemple unique au XXe siècle » d’un compositeur « ayant atteint la perfection dans son art »…
Dans l’ombre de la révolution d’Octobre : Rachmaninov, Prokofiev, Chostakovitch, d’Anna Schmidt (Allemagne, 2017, 52 min).