Prières de rue à Clichy : comprendre le conflit entre la mairie et les associations musulmanes
Prières de rue à Clichy : comprendre le conflit entre la mairie et les associations musulmanes
Par Eléa Pommiers
L’Union des associations musulmanes de Clichy organise des prières de rues depuis leur expulsion, en mars, du local qu’elles occupaient. La mairie met en avant l’existence d’une mosquée sur la commune.
Au lendemain de l’intervention du ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, qui a déclaré qu’« il ne [pouvait] y avoir de prières de rue » à Clichy-la-Garenne, mais que les musulmans de cette ville devaient « avoir un lieu de culte décent », la préfecture des Hauts-de-Seine a réuni, jeudi 16 novembre, des représentants de la ville et des représentants de l’Union des associations musulmanes de Clichy (UAMC). Objectif : essayer de mettre un terme au conflit qui oppose depuis des mois l’UAMC, qui appelle les fidèles à des prières de rue pour réclamer l’ouverture d’un nouveau lieu de culte, et la mairie, qui souligne l’existence d’une mosquée sur la commune. Ce conflit a pris une dimension nouvelle après la manifestation, très médiatisée, d’une centaine d’élus contre les prières de rue, vendredi 10 novembre.
Quelle est l’origine de ce différend ?
Le conflit a débuté avec la fermeture d’une salle de prière de la rue d’Estienne d’Orves, où se réunissaient quotidiennement « entre 3 000 et 5 000 fidèles », selon l’UAMC. Cette dernière louait les locaux à la mairie depuis 2013, quand le précédent maire, le socialiste Gilles Catoire, les avait transformés en lieu cultuel.
Mais le bail précaire signé avec la municipalité expirait en juillet 2016 et Rémi Muzeau, le maire Les Républicains (LR), élu en 2015, a décidé de récupérer le local pour en faire une médiathèque.
L’UAMC, qui souhaitait racheter le local, a refusé de quitter les lieux, malgré une décision d’expulsion du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’août 2016, confirmée par le Conseil d’Etat en novembre 2016.
La préfecture a ordonné à la police de déloger l’association le 21 mars. Depuis, l’UAMC appelle à des prières de rue, tous les vendredis, devant la mairie de Clichy-la-Garenne, sur une rue importante de la commune.
Après plusieurs mois, le conflit juridique a pris une tournure politique. Une centaine d’élus, maires, parlementaires, conseillers municipaux, départementaux et régionaux LR, UDI, MoDem et FN, se sont rassemblés vendredi à Clichy derrière la banderole : « Stop aux prières de rue illégales. »
Des habitants se sont également joints à la manifestation, ainsi que quelques membres du mouvement Forces laïques, qui scandaient : « Aucun culte, la France est laïque. »
La mairie est-elle obligée de mettre un lieu à disposition pour que les fidèles musulmans puissent exercer leur culte ?
Le droit n’oblige en rien une collectivité à fournir, de manière permanente, un lieu à une association cultuelle pour qu’elle puisse pratiquer sa religion. L’article 1 de la loi de 1905 stipule que « la République garantit le libre exercice des cultes », mais cela ne signifie pas que l’Etat a le devoir de fournir des lieux de prière aux associations cultuelles. Cet acte relève souvent d’une volonté politique.
En effet, tous les droits ne sont pas garantis par la puissance publique de la même manière. Elle doit intervenir pour en assurer certains (le droit à l’éducation, par exemple, en construisant des écoles et en payant des professeurs), mais se doit simplement de veiller à ce que d’autres ne soient pas entravés (la liberté d’aller et venir, ou la liberté d’expression, par exemple).
Au nom de la laïcité et au regard de l’interprétation qui est aujourd’hui faite de la loi, le droit au libre exercice des cultes appartient à la deuxième catégorie. L’Etat doit veiller à ne pas réprimer ce droit, mais ne se doit pas d’intervenir – ici, de fournir un lieu pour l’exercice du culte – pour lui permettre d’être effectif. L’association doit acheter ou louer un local, en fonction des disponibilités.
Cependant, en vertu d’une décision du Conseil d’Etat de 2015, la justice peut obliger un maire à fournir un local à une association cultuelle pour un événement ponctuel, s’il en existe un de disponible. Dans tous les cas, cette mise à disposition ne peut être gratuite car elle reviendrait à subventionner un culte, ce qui est interdit par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.
Les prières de rue sont-elles illégales ?
Rien, dans la loi, n’interdit à des croyants de prier dans la rue. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen stipule que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
La préfecture des Hauts-de-Seine a d’ailleurs précisé que l’interdiction réclamée par le maire de la ville se devait d’être « strictement nécessaire au maintien de l’ordre public ». « Il ne suffit pas qu’il existe (…) une menace de trouble à l’ordre public susceptible de justifier la mesure de police, il faut que cette mesure soit appropriée, par sa nature et sa gravité, à l’importance de la menace », a-t-elle expliqué.
Quelles sont les solutions proposées ?
Le maire de la ville a inauguré, en mai 2016, un centre cultuel et culturel rue des Trois-Pavillons, à 1,5 kilomètre du centre-ville de Clichy, vers lequel elle renvoie les fidèles.
Ce lieu de 2 000 mètres carrés, mis à disposition sous la forme d’un bail de 99 ans, comporte notamment deux salles de prière qui peuvent chacune accueillir 700 personnes, selon une déclaration de Mohamed Bechari, qui dirige les associations de musulmans de la rue des Trois-Pavillons, au Parisien.
La mairie argue également qu’elle a proposé l’installation d’une salle de prière complémentaire sur un terrain municipal, « sans recevoir aucune réponse » de l’UAMC.
De son côté, l’association estime que la mosquée est trop éloignée du centre-ville et trop exiguë, tout comme le deuxième terrain proposé par la mairie. Elle accuse le maire de ne pas lui proposer un « terrain adapté avec option d’achat » pour pouvoir établir durablement un lieu de culte dans le centre de Clichy.