Espaces de coworking : le trop-plein
Espaces de coworking : le trop-plein
LE MONDE ECONOMIE
Depuis 2012, leur nombre a été multiplié par dix. Au risque dene pas toujours trouver leur public.
Nextdoor, reseau d'espaces de travail collaboratifs et d'entites de conseils aux entreprises (Paris, 2017). / Nicolas TAVERNIER/REA
Pour Laetitia Sardet, l’aventure reste un beau souvenir. Cette rédactrice free-lance décide en 2014, avec deux associés également entrepreneurs, d’ouvrir un espace de coworking aux environs de Poitiers. Baptisé Le Comptoir, le lieu a pour particularité d’être situé en zone rurale. « On s’était rendu compte qu’il y avait un vrai besoin chez les artisans de la région et les commerciaux nomades d’avoir un lieu où échanger, raconte l’entrepreneuse. On s’est lancés dans ce projet la fleur au fusil, avec le soutien de quelques entrepreneurs locaux. » Si l’initiative est privée, le lieu travaille main dans la main avec les animateurs économiques du bassin. Reconnu comme un facteur de dynamisation du territoire, le projet reçoit le prix du concours Créa’Territoires, financé par la communauté de communes du Pays chauvinois.
Mais les trois associés doivent finalement mettre la clef sous la porte en 2015, après un an et demi d’activité. « On avait quelques clients et des locations ponctuelles de la salle de réunion, mais financièrement, cela ne suffisait pas », regretteLaetitia Sardet. Surtout, aucun des trois fondateurs n’a le temps de s’investir dans la gestion du lieu : « On avait chacun notre propre entreprise à gérer en plus, indique l’associée. Il aurait fallu quelqu’un entièrement dédié à l’animation du lieu. »
Partenariat public-privé
A l’image du Comptoir, de nouveaux lieux de coworking naissent par dizaines chaque année en France. En octobre 2017, le site Bureaux à partager recensait pas moins de 600 espaces de coworking dans tout l’Hexagone – une croissance multipliée par dix depuis 2012. D’initiative publique ou privée, ces lieux peuvent aussi être issus d’un partenariat entre les deux sphères. Ces projets sont souvent soutenus par les régions et les collectivités, qui y voient un moyen de dynamiser leur territoire en incitant les travailleurs à s’y fixer. Selon une étude de la Caisse des dépôts consacrée aux télécentres (espaces de coworking à 100 % public), le développement de ces tiers-lieux permettrait de faire gagner 56 habitants en moyenne à une commune et de créer neuf emplois sur son territoire.
Pionniers, des départements comme l’Ariège ou le Cantal ont lancé, dès la fin des années 2000, les premiers télécentres. En Ile-de-France, ce sont pas moins de 4,6 millions d’euros qui ont été investis par la région pour soutenir la création d’espaces de travail collaboratifs entre 2012 et 2015. Mais la réussite n’est pas toujours au rendez-vous. Il faut que ces lieux développent un modèle économique rentable – et, surtout, trouvent leur public. Soutenus par la délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) dès 2005, les premiers projets de télécentres se sont révélés peu concluants. Si le rapport d’évaluation de l’expérience n’a pas été rendu public, une enquête du géographe Bruno Moriset, qui a pu consulter le document, estime que la trentaine de centres ainsi créés n’accueillaient que… 150 travailleurs au total. Soit 5 utilisateurs en moyenne par centre. Le faible nombre de bureaux disponibles ainsi que l’absence d’animation de la structure seraient les principales raisons de cet échec. Autre problème : le manque de services associés (location de salles, petite restauration…), sources de revenus supplémentaires pour ces espaces.
Une rude concurrence
Ces premières initiatives ont-elles au moins permis d’essuyer les plâtres ? Il n’existe pas d’étude nationale plus récente sur la viabilité économique des espaces de coworking, qu’ils soient d’initiative publique ou privée. Mais une enquête réalisée par le magazine Deskmag, en 2016, à l’échelle mondiale, révèle que 60 % des espaces de coworking sont déficitaires. L’étude constate que les tiers-lieux situés dans les grandes villes sont plus facilement rentables – à condition que le terrain ne soit pas déjà surpeuplé : « Dans les villes où il y a plus d’une cinquantaine d’espaces, la profitabilité chute », note l’enquête. Les loyers sont élevés, trop parfois pour le budget des free-lances. Et le télétravail reste peu développé en France.
« On voit des tiers-lieux en plein Paris qui n’arrivent pas à trouver leur public », confie Michael Schwartz, cofondateur de La Cordée, un réseau d’espaces de coworking implanté dans sept villes. S’ils bénéficient d’un vivier de clients plus important que dans les zones rurales, les tiers-lieux implantés dans les grandes agglomérations doivent faire face à une concurrence plus rude. En plus de la multitude de petits acteurs qui veulent y faire leur nid, ce marché naissant commence à attirer les gros calibres du secteur immobilier, tels Bouygues ou encore Nexity, qui a lancé, dès 2015, sa propre filiale consacrée aux lancements d’espaces de travail collaboratifs.
Le signe de la professionnalisation du secteur ? « Ce n’est pas le même métier, affirme Michael Schwartz. Alors que le modèle économique de ces acteurs est plus proche du centre d’affaires 2.0, l’esprit originel du coworking repose davantage sur la capacité à fédérer une communauté. » Mais la formation d’une « bulle » immobilière pourrait bien se substituer à l’enthousiasme des débuts.