Compteur Linky, à Carros (Alpes-Maritimes), en juin 2015. / Eric Gaillard / REUTERS

Depuis 2015, le réseau de distribution Enedis a installé 7 millions de compteurs Linky en France. 35 millions de compteurs doivent être posés d’ici à 2021. Une opération qui devrait coûter quelque 5 milliards d’euros.

Linky est un compteur électrique dit « intelligent », puisqu’il est connecté au réseau et enregistre les données de consommation. Pour ses partisans, c’est une avancée technologique majeure, qui permet de faire des économies et de gérer la transition énergétique. Pour ses opposants, Linky est un gadget inutile qui provoque des dégâts sanitaires et comporte un danger pour les libertés individuelles.

  • Qu’est ce que Linky ?

Linky est un compteur électrique qui mesure de manière précise l’électricité consommée. En relevant automatiquement la consommation, cet équipement doit permettre, selon Enedis, d’affiner les factures sur la base de données réelles et non plus estimées, et d’obtenir, à terme, une meilleure gestion des pics de consommation.

Concrètement, Linky peut permettre de mener un certain nombre d’actions sans l’intervention d’un technicien à domicile, comme changer de contrat ou de puissance, ou repérer une panne, par exemple.

Autre argument avancé par Enedis : une gestion facilitée de l’autoconsommation, pour permettre aux foyers de produire, consommer ou revendre leur propre électricité.

Les opposants au nouveau compteur ont des arguments de plusieurs ordres : certains critiquent les ondes émises par le boîtier, d’autres les conditions d’installation, la manière dont sont recueillies les données personnelles, ou encore le fait que la mise en place du compteur soit obligatoire.

  • Linky émet-il des ondes à un niveau anormal ?

Une partie des anti-Linky dénonce des risques sur la santé, liés aux ondes électromagnétiques. A ce jour, aucune étude officielle n’a permis de constater des dangers pour la santé. Le travail effectué par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a estimé que les ondes émises par un compteur Linky étaient comparables à celles émises par d’autres équipements électriques (box Internet, lampes LED, chargeurs de portables…). L’Agence nationale des fréquences (ANFR) est arrivée aux mêmes conclusions.

Les opposants à Linky contestent le résultat de ces études, mais ils estiment surtout que le caractère obligatoire de Linky pose des problèmes pour les personnes reconnues comme électrosensibles. A Grenoble, une Iséroise a obtenu, fin 2016, de la justice le retrait d’un compteur d’eau à radiofréquences. Le tribunal a également interdit la pose d’un compteur Linky chez cette personne. Il s’agit là d’un cas très rare.

  • Quelles sont les données recueillies par Linky ?

C’est le principe même d’un compteur intelligent : il recueille des données sur les habitudes de consommation des particuliers ou des collectivités. C’est d’ailleurs l’un des arguments majeurs d’Enedis pour promouvoir le compteur. Une connaissance fine des données des utilisateurs permet de mieux gérer les besoins. « Demandez aux responsables de collectivités, aux élus, à quel point la capacité de disposer de données sur leur territoire permet d’engager une vraie politique d’efficacité énergétique », expliquait au Monde, en novembre, Philippe Monloubou, président du directoire d’Enedis.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui s’est saisie du dossier dès 2012, a strictement encadré ce recueil de données. Elles sont anonymisées et restent la propriété de l’usager, et ne peuvent être transmises à des tiers, sauf consentement explicite du client.

Autrement dit, personne ne pourra savoir à quel heure l’usager se réveille ou fait fonctionner sa machine à laver, s’il ne le souhaite pas.

Mais ce recueil de donnes inquiète les opposants à Linky. « Il ne faut pas être dupes : mêmes anonymisées, même avec le consentement, le compteur enregistre et stocke des données, explique Antoine de Lombardon, avocat spécialisé en droit de l’environnement. On devrait pouvoir décider que jamais ces données ne soient enregistrées, et cela, Linky ne le permet pas. »

De fait, la simple existence de ces données rend leur utilisation possible à terme. D’autant qu’un changement de législation est toujours possible. Le risque de cyberattaques est également mentionné par les anti-Linky.

  • Peut-on refuser Linky ?

C’est une question épineuse. En théorie, oui. En pratique, c’est très difficile. Plusieurs dizaines de communes et des centaines de citoyens ont décidé de refuser la pose de ce compteur, mais la loi va plutôt dans le sens d’Enedis.

La mise en place de nouveaux compteurs est rendue obligatoire dans un décret d’août 2010.
Mais les opposants contestent l’interprétation qui en est faite par Enedis : le texte ne mentionne pas le type de compteur concerné. D’ailleurs, lors du vote de la loi, les députés ont renoncé à rendre obligatoires les compteurs dits « intelligents ».

Autre sujet complexe : les compteurs n’appartiennent ni aux usagers ni à Enedis. Ils sont la propriété des communes, qui ont – en règle générale – délégué la gestion à Enedis, par l’intermédiaire d’une communauté d’agglomération. Dans les faits, même le vote d’un conseil municipal ne permet pas d’empêcher la pose des compteurs.

Certaines communes ont fait voter des vœux ou des résolutions en ce sens. Selon Enedis, il s’agit de « moins de 1 % des communes », mais les opposants recensent plus de 400 communes, parmi lesquelles Yerres (Essonne) ou Melun (Seine-et-Marne).

Dans la plupart des cas, Enedis saisit la justice et obtient gain de cause. « Les décisions en référé vont plutôt dans le sens d’Enedis, reconnaît Antoine de Lombardon, mais il n’y a pas encore eu de décision sur le fond. »

La question de la localisation du compteur est également importante. Les particuliers ne peuvent s’opposer à la pose si l’accès au compteur peut se faire librement. La présence d’un cadenas ou d’un écriteau qui indique son refus ne suffit pas.

En revanche, les installateurs ne peuvent rentrer au domicile d’un particulier sans son consentement. Les sous-traitants d’Enedis, sous pression pour tenir leurs objectifs, ont, à plusieurs reprises, violé des domiciles privés, soulignent les associations de consommateurs.

Enfin, les contrats récents passés avec les fournisseurs d’électricité, comme EDF ou Engie, incluent les dispositions d’Enedis liées au compteur. Mais la mention de Linky n’est pas explicitement présente dans les anciens contrats, ce qui laisse la possibilité de refuser. Mais cela peut entraîner des complications avec le fournisseur d’électricité, ce qui peut provoquer une résiliation de contrat.

Refuser Linky est théoriquement possible, mais juridiquement difficile. Les opposants, appuyés par des juristes, cherchent à obtenir de nouvelles décisions de justice pour bloquer le déploiement du compteur. Du côté d’Enedis, on souffle le chaud et le froid en repoussant à plus tard certaines poses de compteurs, tout en continuant à saisir la justice pour imposer les installations.

  • Linky fait-il dérailler les installations électriques ?

C’est l’un des arguments avancé par les associations de consommateurs : des dysfonctionnements en série pour de nombreux usagers après la pose des compteurs. Lampes tactiles qui ne fonctionnent plus, bogues dans la box Internet, téléviseurs qui s’allument tout seuls, problèmes de chauffe-eau : l’UFC-Que choisir a ainsi recensé dans un dossier les difficultés liées à Linky.

La plupart de ces problèmes proviennent de la pose « à la hussarde » du compteur. Pour tenir ses objectifs, Enedis mobilise près de 70 entreprises sous-traitantes, et certains installateurs semblent très peu regardants.

L’association de consommateurs dénonce des défauts récurrents et une incapacité d’Enedis à reconnaître ses erreurs. Du côté de l’entreprise, on estime que ces cas sont minoritaires et on affirme qu’une grande partie des cas litigieux ont été indemnisés.