Impliqué dans l’enquête sur les « Paradise Papers », le patron des patrons suédois démissionne
Impliqué dans l’enquête sur les « Paradise Papers », le patron des patrons suédois démissionne
Par Anne-Françoise Hivert (Malmö (Suède), correspondante régionale)
Leif Östling, déjà fragilisé par les révélations sur ses deux entreprises offshore à Malte et au Luxembourg, vient d’être poussé vers la porte de sortie. En cause : ses propos sur le bien-fondé de l’imposition en Suède.
Leif Östling, le 13 mai 2014. / JOCHEN LUBKE / AFP
Il aura tenu dix-sept jours, après les révélations des « Paradise Papers » sur la société qu’il possède à Malte avec sa femme. Mercredi matin, le patron des patrons suédois, Leif Östling, a annoncé qu’il quittait son poste à la tête de l’entreprise Svenskt Näringsliv, membre de la Confédération des industries suédoises. Dans un communiqué, il évoque les réformes nécessaires de l’organisation dans les années qui viennent, son âge (73 ans) et son mandat qui arrivait de toute façon à son terme, en mai prochain. Mais en Suède, il ne fait aucun doute que ce départ précipité est la conséquence directe des propos tenus dans l’émission « Uppdrag granskning », diffusée le 5 novembre, sur la chaîne SVT, dans laquelle il assumait pratiquer l’évasion fiscale.
Interrogé sur les deux sociétés offshore qu’il possède avec sa femme à Malte et au Luxembourg, Leif Östling assurait alors qu’il n’avait « rien fait d’illégal », et surtout, qu’il avait payé 18,5 millions d’euros d’impôts en Suède et en Allemagne depuis 2010. Mais c’est surtout sa saillie « vad fan får jag » (qu’est-ce que diable j’y gagne ?), qui avait embrasé la Toile et entraîné un débat sur l’Etat-providence et son financement.
Posture populiste et dangereuse
La position du président de la Confédération des industries suédoises, déjà critiqué pour son leadership intransigeant, est ainsi vite devenue intenable, y compris au sein de son organisation, où les critiques affluent contre une posture qualifiée de populiste et dangereuse pour la cohésion sociale. « Juste parce qu’il n’est pas dépendant de l’école ou du système de santé pour le moment ne veut pas dire qu’il n’obtient rien pour son argent », a réagi Maria Mattsson Mähl, membre du conseil d’administration de Svenskt Näringsliv.
La ministre des finances, Magdalena Andersson a, elle, fustigé « une élite financière internationale » qui, en pratiquant l’optimisation fiscale, « sape totalement la confiance ». Même le leader des conservateurs, Ulf Kristersson, dont le parti, au pouvoir de 2006 à 2014, a largement contribué à alléger la pression fiscale en Suède, met en cause le manque de solidarité, qui transparaît dans les propos de M. Östling.
Remise en cause du modèle
Finalement, « c’est le commentaire, pas la société à Malte, qui a achevé la lutte pour le pouvoir qui se jouait au sein de Svenskt Näringsliv », écrit Mikael Törnwall, dans le quotidien Svenska Dagbladet. Des propos, note le journaliste, qui ont « donné l’impression que le représentant principal de l’industrie remettait en cause le cœur du modèle suédois ».
Mercredi, Leif Östling a estimé qu’il avait « lancé un débat pressant sur la pression fiscale en Suède », mais que les entrepreneurs devaient « être en mesure d’argumenter pleinement en faveur d’un meilleur climat des affaires, où les impôts et les taxes jouent un rôle important, sans être dérangés par d’éventuels débats sur [sa] personne ».
La Suède, qui a longtemps affiché, avec son voisin danois, la pression fiscale la plus lourde du monde, se classe désormais à la septième place des pays de l’OCDE, avec un taux de prélèvement obligatoire de 43,3 % (contre 45,5 % en France). L’ISF y a été supprimé en 2007. Une procédure simplifiée de rectification a alors été mise en place : les riches Suédois ayant placé de l’argent à l’étranger peuvent le rapatrier dans le royaume, sans risquer de poursuites ni de lourdes amendes. Depuis 2010, 12 039 personnes en ont profité pour régulariser leur situation, ce qui représente 2,3 milliards de couronnes (309 millions d’euros) de revenus fiscaux. Mais l’évasion fiscale continue de coûter 4,5 milliards d’euros à la Suède chaque année, selon l’Office des impôts.
Les « Paradise Papers » en 3 points
Les « Paradise Papers » désignent une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses 96 médias partenaires, dont Le Monde, soit 400 journalistes de 67 pays. Ces révélations s’appuient sur une fuite de documents initialement transmis, en 2016, au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung par une source anonyme.
Cette nouvelle enquête permet de lever le voile sur les mécanismes sophistiqués d’optimisation fiscale dont profitent les multinationales et les grandes fortunes mondiales.
Les « Paradise Papers » sont composés de trois ensembles de données, qui représentent au total près de 13,5 millions de documents :
- 6,8 millions de documents internes du cabinet international d’avocats Appleby, basé aux Bermudes mais présent dans une dizaine de paradis fiscaux.
- 566 000 documents internes du cabinet Asiaciti Trust, installé à Singapour.
- 6,2 millions de documents issus des registres confidentiels des sociétés de dix-neuf paradis fiscaux : Antigua-et-Barbuda, Aruba, Bahamas, Barbades, Bermudes, Dominique, Grenade, îles Caïman, îles Cook, îles Marshall, Labuan, Liban, Malte, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Samoa, Trinité-et-Tobago, Vanuatu.