Neutralité du Net. / Le Monde.fr

La FCC (« Federal Communications Commission »), le régulateur des télécoms américain, doit présenter, mercredi 22 novembre, une « proposition » visant à supprimer l’obligation faite aux fournisseurs d’accès de respecter la neutralité du Net. Un principe essentiel du fonctionnement du réseau, qui garantit l’égalité des internautes.

  • Qu’appelle-t-on neutralité du Net ?

C’est un principe très simple, qui veut que tous les contenus circulant sur Internet le fassent de manière égalitaire, sans aucune discrimination. Par exemple, il interdit à un fournisseur d’accès de permettre un accès plus rapide à certains services qu’à d’autres, ou encore de filtrer certains contenus ou services.

  • Est-ce une obligation légale ?

Pendant très longtemps, la neutralité du Net a été une « règle non-écrite », globalement respectée mais qui n’avait pas force de loi. Certains pays ont cependant choisi d’inscrire ce principe dans leur droit ou dans leurs règlements, pour le renforcer : c’est le cas notamment aux Etats-Unis où, après de longs débats, l’administration Obama a finalement mis en place un cadre réglementaire qui oblige les fournisseurs d’accès à respecter ce principe, sous peine de sanctions. En Europe, le respect de ce principe est également imposé par le régulateur des télécoms, avec toutefois quelques exceptions.

  • Pourquoi les Etats-Unis veulent-ils revenir dessus ?

L’imposition du respect de la neutralité du Net avait fait l’objet d’un vif débat aux Etats-Unis, qui épousait partiellement des conceptions politiques de la gauche et de la droite. Une bonne partie des républicains y étaient peu favorables, arguant que ces règles freinaient la liberté d’entreprendre, tandis que les démocrates estimaient qu’elles étaient nécessaires pour protéger les consommateurs et empêcher des dérives de la part des géants des télécoms. L’administration Trump, engagée depuis un an dans une large campagne de dérégulation, avait annoncé depuis longtemps qu’elle comptait défaire les mesures d’encadrement des télécoms mises en place sous les mandats de Barack Obama.

  • Quelles seraient les conséquences d’une suppression de la neutralité du Net ?

Le non-respect de ce principe pourrait avoir de sévères conséquences sur l’accès à Internet aux Etats-Unis. L’une des possibilités les plus probables serait que les fournisseurs d’accès à Internet pourraient commencer à privilégier la vitesse de connexion de certains clients – qui paieraient un abonnement plus cher pour cela. Ils pourraient également privilégier certains types de contenus par rapport à d’autres – les services de vidéo en streaming, comme YouTube et Netflix, gros consommateurs de bande passante, seraient vraisemblablement les premiers visés. Dans les pires des cas, rien n’empêcherait un fournisseur d’accès de décider qu’il ne souhaite plus donner accès à certains sites, services ou types de contenus – en proposant par exemple des abonnements « sans vidéo en ligne » ou « sans jeu vidéo en ligne ».

A terme, si des politiques discriminatoires sont mises en place par les fournisseurs d’accès, cette dérégulation aura aussi des conséquences sur la capacité d’innover des entreprises américaines, et sur la liberté d’expression en général, estiment les défenseurs de la neutralité du Net.

  • Qui sont les soutiens d’une dérégulation ?

Sans surprise, les principaux soutiens d’une suppression des règles sont les opérateurs télécoms (Comcast, Verizon, AT&T). Leur principal argument est que le développement du réseau aux Etats-Unis nécessite de coûteux investissements, et que leur laisser libre champ sur les produits et les tarifs leur permettrait d’investir davantage. Ajit Pai, le président du régulateur américain nommé par Donald Trump, est lui-même un ancien salarié de Verizon. Plusieurs élus républicains, députés comme sénateurs, soutiennent aussi la dérégulation.

  • Qui sont défenseurs de la neutralité du Net ?

Les défenseurs de ce principe forment une coalition hétéroclite mais nombreuse. On trouve parmi eux les défenseurs des libertés numériques, attachés au principe de non-discrimination des contenus, mais aussi les associations de consommateurs qui craignent une dégradation des services et une augmentation des tarifs. Au rang des défenseurs s’illustrent également la quasi-totalité des grandes entreprises de la Silicon Valley, dont Google, Facebook et Microsoft. Ces derniers pointent que la fin de ce principe constituerait une entrave à la libre concurrence, et craignent que le fonctionnement de leurs services soit directement impacté si les fournisseurs d’accès commencent à privilégier certains contenus au détriment d’autres. Plusieurs personnalités marquantes du Web soutiennent aussi ce principe, à commencer par Tim Berners-Lee, l’inventeur du Web.

Lawrence Lessig : « Les principes fondamentaux d’Internet ont été court-circuités et on a laissé faire »
Durée : 01:03:28

  • Quelles sont les chances de cette dérégulation d’entrer en vigueur ?

Malgré la mobilisation de plusieurs grands sites Web, de patrons influents, et de différentes personnalités, les chances de préserver les règles issues de l’administration Obama sont extrêmement faibles. Un vote aura lieu ce 14 décembre au sein de la commission du régulateur américain, qui compte cinq membres, dont trois ont été nommés par Donald Trump – et qui sont tous d’ardents adversaires de la neutralité du Net.